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« étrangers de distinction, » des « célébrités contemporaines, » poètes ou poétesses, touristes, dandies, etc. Les salons sont magnifiquement décorés, le souper sort du meilleur atelier ; mais que va devenir cet ensemble splendide, si on le soumet à un examen détaillé, si une oreille attentive ramasse, de ça, de là, les notes discordantes de ces dialogues éparpillés, si un regard scrutateur passe la revue de ces costumes dont chacun est l’expression naïve d’une vanité en émoi ? Sous les brillans dehors, peu à peu la réalité pauvre et mesquine va se faire jour. Nous surprendrons ici le regard jaloux et l’exclamation bourrue de l’honnête garçon qui se voit enlever sa belle par un danseur de profession, lui qui n’a jamais su se plier aux exigences de la polka. Un peu plus loin, c’est le sourire béat de bons parens qui regardent sautiller une fille chérie. Là bas, c’est le valseur allemand, meurtrissant le parquet de son pédant talon. Dans ce coin, à la table d’écarté, un joueur aux belles façons, tout miel et mystère, vous représente un adepte de la diplomatie, gravité étudiée, silence prudent, réserve qui ne cache rien, formules équivoques qui n’en disent pas davantage. Voici le jeune poète rêveur qui va les yeux au ciel, s’accoudant à tous les lambris, comme s’il cherchait un socle à son buste byronien. Ce petit monsieur à figure chafouine, c’est le moqueur de profession, qui n’ouvre pas une fois les lèvres sans que tout le monde sourie d’avance à l’épigramme prévue. Arrivent ensemble le dandy modèle et le dandy copie, deux exemplaires, fort différens d’ailleurs, du même habit et de la même cravate. Admirez avec nous la candeur de cette belle personne blonde qui accepte, en frémissant de plaisir, des mains ridées d’un don Juan sexagénaire, le bouquet que celui-ci offre avec des grâces datées du règne de Brummell. Puis viennent les aperçus burlesques qui jamais ne manquent : — le commis venu à pied et qui ôte ses socques dans l’antichambre, au milieu des laquais goguenards ; — les petits Perkins courant après tous les plateaux et se préparant de terribles épreuves ; — enfin, dans la salle du banquet, derrière le paravent favorable, les subalternes absorbant à qui mieux mieux le sillery de l’amphitryon consterné. Bref, le tableau est complet, d’une vérité à la fois triste et comique, et n’était un personnage irlandais dont il nous paraît que Titmarsh a quelque peu outré la désinvolture et le sans-gêne, nous n’aurions en tout qu’à battre des mains.

La double aptitude du dessinateur et du conteur satirique désignait Thackeray, lors de la fondation du Punch, comme un des rédacteurs indispensables de ce journal. Aucun cadre ne pouvait d’ailleurs le mettre plus promptement en relief, et lui donner ainsi l’indépendance qui ne manque guère au succès. En effet, de sa collaboration au Punch, bien qu’elle fût anonyme, date la véritable popularité du