Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1027

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Suzon n’a pas mis le couvert… - Puis après, reprit l’ingénue miss Costigan… admettez que les enfans arrivent… Eh ! vraiment, papa, nous serions encore plus dans la gêne que nous n’y sommes maintenant.

« — Positif, Milly… Vous avez raison, répondit le père,

« — Voilà donc finie l’histoire de mistress Pendennis, femme d’un membre du parlement, dit Milly avec un large éclat de rire. Et les belles voitures,et les beaux chevaux que nous devions avoir, dites, papa, les voyez-vous venir ?… Ah ! c’est toujours la même rengaine. Pour peu qu’un monsieur me lorgne, crac, vous en faites un épouseur ; et s’il a un habit tant soit peu propre, il faut absolument qu’il vous apparaisse riche comme un Crasus.

« — Un Crésus, remarqua le musicien.

« — Comme vous voudrez. Le fait est qu’en huit ans papa m’a bien mariée une vingtaine de fois. N’ai-je pas dû devenir lady Poldoody d’Oysters-Town-Castle ? Ensuite est venu le capitaine de vaisseau, à Portsmouth ; après, le vieux chirurgien de Norwich… ici encore, l’an dernier, le prédicateur méthodiste… sans parler des autres, et vous verrez, en fin de compte, que je mourrai fille… Ah ! ce pauvre petit Arthur n’a pas le sou !… Eh bien ! Bows, vous vous en allez ?… Restez donc à dîner ;… nous aurons un magnifique beefsteak. »


Bows le musicien reste en effet. Le beefsteak est excellent. Milly n’est pas la moins empressée à y faire honneur. Avec le dessert reviennent les réflexions philosophiques. Le père de Milly s’inquiète des formes à donner au remerciement dont il lui faut régaler Arthur Pendennis. Bows le renvoie ironiquement à sa fille, qui par le fait trouve la chose des plus simples. On commencera par sommer Arthur de déclarer sa fortune ; il le fera sans hésitation et en toute loyauté. On lui répondra que le chiffre n’est point assez élevé ; l’engagement réciproque se trouvera rompu… tout naturellement.


« — Et naturellement, remarque Bows, vous fourrez deux petites lignes dans la lettre, où vous lui dites que » vous le regarderez toujours comme un frère. »

« — C’est cela,… et je dirai ce que je pense, ajouta miss Fotheringay, — Je suis convaincue que c’est un digne et brave garçon… Voilà de bien belles noisettes… Passez-moi le sel…

« — Et les lettres, et les petits vers ? demanda encore le papa… qu’allez-vous en faire, ma chérie ? Il faut les lui renvoyer, pas vrai ?

« — Il y a par la ville un amoureux de mademoiselle qui vous donnerait bien cent livres sterling pour les avoir, hasarda Bows.

« -Vous croyez ? s’écria Costigan, dont l’imagination se montait aisément, surtout après le whisky.

« — Ah ! papa, interrompit aussitôt miss Milly, vous n’allez pas m’empêcher de renvoyer les lettres à ce pauvre garçon… ? Lettres, vers, tout cela est bien à moi. Certes elles étaient bien longues, ces lettres, et toutes farcies de verset de latin… Je ne puis pas dire en conscience que je les aie toutes lues… N’importe,… quand il en sera temps, on les lui restituera…