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moins de candidats au baccalauréat es-lettres. Le nombre des candidats, le résultat même d’un examen placé à l’issue des études classiques et à l’entrée des professions libérales ne peuvent être pris sans doute comme une bien exacte mesure du degré de culture littéraire dans un pays. Si cette diminution de candidats dénotait cependant une tendance à s’éloigner des études littéraires pour se tourner vers les études scientifiques, ce ne serait peut-être pas un symptôme des plus heureux. On a pu abuser des études littéraires ; on a pu faire des demi-lettrés, des demi-écrivains, des demi-orateurs : la faute en est moins aux études littéraires qu’au temps. Cela n’empêche point que les lettres en elles-mêmes ne soient seules capables de mettre dans l’esprit cette vive lumière des choses qu’aucune autre étude ne donne, et qu’elles ne soient l’éternel attrait dans un pays comme la France, qui a vécu et grandi par l’intelligence.

Le mal n’est point certes aujourd’hui dans l’excès des préoccupations intellectuelles ; il est dans l’affaiblissement de l’esprit littéraire, dans ses incertitudes et ses prostrations, et en cela les lettres souffrent d’un mal qui est celui de la société elle-même. Quelles sont les causes de cette situation ? quel sera le remède de cette maladie ? Ce serait assurément l’objet d’une des plus instructives analyses morales. L’Académie ne discutait point précisément cette question l’autre jour dans la réunion annuelle tenue pour la distribution des prix réservés aux ouvrages les plus utiles aux mœurs et aux actes de vertu ; mais il se débattait dans l’enceinte de l’Institut une autre question qui ne touche pas de moins près à tout le développement moral et intellectuel de notre temps. M. Villemain et le président de l’Académie, M. de Salvandy, ayant à distribuer des récompenses au nom de M. de Monthyon, se sont trouvés naturellement en présence du XVIIIe siècle, de toutes ses idées, de ses interprétations de la vertu et de la morale ; l’un et l’autre en ont parlé avec des nuances qu’on comprendra. Or, par une circonstance singulière, ils semblaient traiter une question tout actuelle. Depuis quelque temps en effet, le XVIIIe siècle est devenu un sujet de polémique ; il est exalté et bafoué ; Voltaire est redevenu presque un de nos contemporains. Ces polémiques rétrospectives ont-elles un intérêt bien sérieux et bien direct pour nous ? Des jugemens de M. Villemain et de M. de Salvandy on pourrait, il semble, tirer une conclusion plus juste et plus utile, Le XVIIIe siècle a été certainement un grand siècle par ses lumières, par le talent des hommes, par l’instinct de rénovation qui était dans toutes les intelligences, par le miraculeux esprit d’écrivains comme Voltaire. Il n’en est pas moins vrai qu’il a eu surtout une influence de destruction, et qu’il a d’avance par ses idées corrompu la révolution à laquelle il travaillait. Ce qu’on nomme d’habitude les idées du XVIIIe siècle, c’est justement ce qui s’est transformé en idées révolutionnaires et a compromis la rénovation du monde moderne. Aussi le premier devoir des hommes de notre temps qui veulent dégager ce qu’il y a de juste et de légitime dans la révolution française est-il de secouer le joug des idées du siècle qui nous a précédés. Cette étrange époque s’était proposé un problème insoluble, celui d’émanciper l’espèce humaine, de la doter de toutes les libertés, en affaiblissant le sentiment religieux et moral, c’est-à-dire qu’elle détruisait justement ce qui peut rendre la liberté