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dinaires. Le congrès du reste, instruit par l’expérience, ne se fait pas faute d’accorder ces facultés. Il y a quelque temps même, il conférait à perpétuité le titre de général en chef tout à la fois aux deux frères Monagas, à l’ancien président et au président actuel, ce qui ne laisse point d’être bizarre, d’autant plus que les deux frères ne vivent pas toujours dans la meilleure intelligence : ils ne s’accordent qu’en une chose, l’envie de maintenir l’ascendant de la famille.

Dans la situation de cette république troublée, il y a depuis quelque temps un fait saillant qui n’existe pas au même degré dans les autres contrées de l’Amérique du Sud : c’est un mouvement de plus en plus sensible de la race noire. Les hommes de couleur remplissent les emplois, ils sont dans l’armée surtout. C’est là que le général Gregorio Monagas cherche aujourd’hui la popularité. La population noire, restée esclave, était depuis l’indépendance sous le régime d’une loi dite de manumission, ou émancipation progressive, de telle façon que l’esclavage, déjà fort réduit, s’éteignait graduellement. Dans la session de 1854, une loi était proposée au congrès pour affranchir immédiatement ce qui restait d’esclaves dans le Venezuela. C’étaient des députés de couleur qui étaient les inspirateurs et les soutiens naturels de cette loi. Un certain nombre de membres du congrès cherchaient, il est vrai, à pallier une telle mesure, du moins dans ce qu’elle avait de radical. Ils voulaient surtout donner un caractère réel à l’indemnité promise aux propriétaires d’esclaves, au lieu du caractère illusoire que lui donnait la loi en l’affectant sur des branches de revenu déjà deux ou trois fois engagées ; mais la population noire de Caracas s’agitait, et sous cette pression le congrès se hâtait de voter la loi. Le général Gregorio Monagas était salué comme un libérateur, et devenait l’objet de démonstrations populaires. Récemment même un officier de couleur disait à ses soldats qu’en cas de soulèvement des oligarques, ils devaient, laissant de côté leur fusil, les égorger à coups de poignard et soutenir à tout prix le général Monagas, parce que c’était lui qui leur avait donné la liberté. On devine ce qu’un tel mouvement peut créer de périls pour la population blanche en certains momens. Une autre tendance qui se fait jour depuis longtemps dans la politique dominante au Venezuela, c’est la haine contre les étrangers. Plus d’une proposition inspirée de ce triste esprit était faite au congrès de 1854. La principale avait pour but d’établir que désormais les étrangers n’auraient droit à aucune indemnité pour des pertes éprouvées dans les révolutions, c’est-à-dire le plus souvent pour des spoliations réelles. C’est un principe que n’accepteront probablement pas les gouvernemens européens, et qui dans tous les cas n’est guère propre à attirer les étrangers.

Voilà par quels traits se caractérise la politique démocratique du Venezuela ! car c’est bien le parti démocratique qui règne dans la personne du général Gregorio Monagas. Comment les insurrections n’éclateraient-elles pas ? Elles sont le triste fruit d’une administration sans prestige, qui, pour les combattre, va chercher sa force dans tout ce qui peut être un danger pour le pays. Jusqu’ici, la dernière insurrection, qui dure encore, n’a abouti qu’à faire éclater des deux parts une animosité extrême. Les troupes présidentielles battent les insurgés, mais ce sont des victoires stériles. Le gouverne-