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ce dépouillement de l’homme au profit de l’état, qui ôte à l’homme le moi qu’il tient de Dieu, sous prétexte aussi de lui en donner un meilleur des mains de l’autorité publique. Singulière inconséquence dans Rousseau qui, ne pouvant pas avoir ce qu’il préfère, c’est-à-dire point de société ni d’éducation du tout, veut la société la plus despotique et l’éducation la plus impérieuse qu’on puisse imaginer, qui, forcé de renoncer à l’état sauvage, aboutit à l’état le plus social, se dédommage d’un excès par un autre, et se console de la liberté des forêts qui lui est refusée par la servitude d’un vrai couvent politique !

La République de Platon ayant ainsi fasciné Rousseau, il est bon de jeter un coup d’œil sur cet ouvrage singulier que Rousseau a souvent pris pour modèle et pour inspiration dans l’Émile et dans le Contrat social.


II

Rousseau aimait beaucoup l’antiquité, mais il la connaissait mal ; il avait l’idée de sa grandeur ; il n’avait pas l’idée de son organisation intérieure, et il était disposé à croire que les philosophes, et Platon en particulier, avaient fait dans leurs ouvrages le tableau de la société antique, tandis qu’au contraire ; ils en avaient pris le contre-pied. Témoins et souvent victimes de la démocratie ancienne, les philosophes avaient en grand dédain ce gouvernement tumultueux et aveugle qui laissait peu de chance à la sagesse et à la vertu ; aussi loin de le peindre dans leurs ouvrages, ils y opposaient volontiers le plan d’un gouvernement meilleur et plus parfait : telle est la République de Platon, qui est à la fois une utopie et une satire.

Dans les publicistes modernes, il n’est question que de droits, de conventions et de lois. Dans les publicistes anciens, il n’est question que des vertus nécessaires aux citoyens, et de l’éducation qui peut les former à ces vertus. Platon ne cherche point dans sa République quel est le principe fondamental des sociétés politiques, si le peuple est souverain ou n’est pas souverain, de quelle manière il doit exercer sa souveraineté et de quelle manière il peut la déléguer. Il établit qu’il y a quatre vertus fondamentales : la prudence, le courage, la tempérance, la justice : voilà les bases de son état. Ce sont ces quatre vertus qui sont le pivot de la société. Avec ces vertus, vous pourrez vous passer de lois. Platon en effet s’inquiète peu des lois, il ne leur attribue pas l’efficacité que nous leur attribuons aujourd’hui. « Ferons-nous des lois, dit-il livre IV, sur les contrats de vente ou d’achat, sur les conventions pour la main-d’œuvre, sur les insultes, les violences, l’ordre des procès, l’établissement des juges, la levée