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vital qui les animait ; elles sont mortes aujourd’hui, car elles ne sont plus vraies, mais elles ont vécu, tandis que ce qui les imiterait, étant faux, serait mort-né. M. Arnold fournit lui-même un argument contre son opinion en citant l’Hermann et Dorothée de Goethe. Oui, ce beau poème laisse le lecteur parfaitement froid ; mais pour quelle raison, s’il vous plaît ? C’est que le parti pris du retour aux traditions classiques y est trop visible, et ce parti pris n’a réussi à personne. Dans l’Evangeline de Longfellow par exemple, le vers homérique n’a servi qu’à refroidir une inspiration dont la verve paraissait indomptable, et à rendre maniérées des allures dont la liberté faisait à la fois la grâce et la puissance.

Si maintenant nous laissons de côté l’esthéticien pour arriver au poète, force nous sera d’avouer qu’en tant que narrateur exposant purement et simplement une succession de faits dans toute leur sécheresse et sans commentaire aucun, M. Arnold, par l’application rigoureuse de son système, trouve parfois des effets dramatiques incontestables. Nous n’en voulons pour preuve que la pièce intitulée Sohrab et Rustum, par laquelle s’ouvre son dernier volume.

Sur les bords de l’Oxus campent les deux armées rivales des Tartares et des Persans. Parmi les premiers s’élève un jeune héros de race ennemie, lequel, longues années auparavant, lorsque la guerre ne divisait pas encore les deux peuples, fut envoyé par sa mère sous la tente du roi Afrasiab pour le soustraire à son père, le glorieux Rustum, qui voulait sans doute le consacrer à son sanglant métier. Rustum est le roi Arthur des Persans, celui dont le nom vaut une victoire, et à qui sa tremblante épouse a fait croire qu’un enfant lui est né du sexe féminin, lui la quittant, Rustum lui a laissé un cachet mystérieux, une pierre précieuse portant l’empreinte d’un griffon, et l’a chargée d’en faire marquer au bras droit l’enfant qui doit bientôt naître. C’est aussi ce qu’elle fait ; mais la crainte des instincts guerriers du père la pousse à confier son fils aux soins d’un prince allié, et à annoncer à son époux absent la naissance d’une fille. Seize ou dix-sept années s’écoulent, et la guerre retient Rustum loin de ses foyers ; mais en attendant, le roi Afrasiab, d’allié qu’il était, est devenu l’ennemi des Persans, et le jeune Sohrab est l’espoir de son armée. Ce dernier connaît le secret de sa naissance, et chez lui le culte du nom et des exploits paternels s’exalte à un tel point, qu’il ne veut se présenter devant Rustum et lui révéler qui il est que lorsque de grandes actions lui auront valu un grand renom. Or, le jour où s’ouvre le récit, l’idée vient à Sohrab de proposer un combat singulier, à la façon des héros d’Homère, à celui que voudront nommer les Persans pour champion. « Ainsi, dit-il au vieux Peran-Wisa, son confident, la fortune pourra se décider pour l’un ou l’autre camp,