Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« LA COURTISANE. — Où vas-tu ?

« WALTER. — Mon cœur brûle, et je cours au néant comme en pleine mer un vaisseau incendié. (Il sort en courant.)

Mais les épreuves sont bientôt épuisées, et le fruit de sa triste expérience va se produire chez Walter : c’était autrefois un rimeur, c’est maintenant un poète. La vérité du talent sortira de la vérité des sentimens ; son remords réel durera toujours, mais du désespoir il sera fait justice.


« Que fais-je de ma vie ? s’écrie-t-il. — et le travail ? — Le dernier insecte qui tournoie dans un rayon de soleil a sa sphère d’activité, qui sait, ses devoirs peut-être ? — Pourquoi n’en aurais-je pas, moi, d’austères devoirs ? Je rejetterai au loin le passé mort, et me lancerai libre sur la route… Monde, monde ! tu es loin de moi à présent ; je n’entends pas ton bruit, — et pourtant, monde, je te tiens, tu es en mon pouvoir ! — Toi par qui j’ai souffert, tu sentiras la mystérieuse influence que je possède ; je te subjuguerai, monde ; — je te rendrai triste, et te ferai trembler, puis je te remplirai de saines et vigoureuses pensées… »


En effet, revenu de son culte de la renommée, Walter répand tous les vrais trésors de son âme dans un poème qui précisément, parce que l’auteur ne cherche plus la gloire, la conquiert d’emblée. Sachant aussi maintenant où réside le bonheur, Walter retourne près de Violette, et, déposant ses lauriers aux pieds de la bien-aimée, il implore son pardon. Elle l’attendait, et la dernière scène du drame les voit, par une belle nuit d’été, réunis ensemble au jardin du vieux manoir du poète.


« Tout passe, — dit Violette, — tout, hormis l’amour véritable, qui, lui, dure encore quand à jamais sont finis et les siècles pleins de leurs hauts faits, et les bardes illustres, et la renommée elle-même, et les religions diverses dont les formes vont et viennent comme flammes vacillantes. — Notre nuit est passée, répond Walter. Le jour se lève ; devant moi, je vois de grands devoirs et de grandes œuvres ; que le succès vienne ou non, peu m’importe ! J’ai appris à admirer l’acte qui, pareil à l’éclair, est silencieux, et non pas le bruyant fracas du tonnerre qui le suit en applaudissant, et que les hommes appellent la gloire. »


On le voit, la donnée philosophique du livre d’Alexandre Smith, quoique fort simple, ne manque pas d’élévation. Cependant il ne faut pas chercher là sa véritable originalité, ni la cause de l’effet immense qu’il a produit. Toutes les deux se trouvent dans les détails de l’ouvrage, et surtout dans l’éclatante et quelquefois même l’incroyable hardiesse de la langue. La beauté de certaines expressions est si puissante et si vraie, qu’après s’en être longtemps et involontairement préoccupé, on est tout surpris de saisir dans quelque aspect