Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour bien comprendre la valeur d’un tel écrivain, il ne suffit pas de l’étudier en lui-même, il faut encore le comparer à ses contemporains. La plupart des œuvres enfantées par l’école poétique de la restauration portent déjà l’empreinte de la vieillesse, et nous ne pouvons les relire sans un profond étonnement. Nous nous demandons à chaque page comment ce cliquetis de paroles a pu être accepté pendant quelques années comme l’expression d’idées vraies, de sentimens réels. En relisant les œuvres de M. Mérimée, nous n’éprouvons rien de pareil. Pourquoi ? sinon parce qu’il n’a jamais écrit une ligne sans s’appuyer sur l’histoire ou sur la philosophie. Ce n’est pas qu’il prétende au titre de philosophe : il ne néglige aucune occasion d’affirmer son incompétence en pareille matière ; mais il connaît à merveille la nature humaine, et par cette connaissance, bon gré, mal gré, il se rattache à la philosophie. L’école poétique de la restauration dédaignait l’histoire, qu’elle prétendait deviner, et ne pouvait s’élever jusqu’à la philosophie, puisqu’elle substituait l’étonnement à l’émotion, et parlait aux yeux au lieu de parler au cœur. Son aversion pour le théâtre français du XVIIe siècle s’accordait parfaitement avec sa prédilection pour l’éclat des costumes et des décors. M. Prosper Mérimée n’a jamais partagé cette prédilection ; aussi a-t-il gardé pour le XVIIe siècle une sympathie qui se révèle dans tous ses ouvrages. Il n’a pas le goût des préfaces et s’abstient d’expliquer ce qu’il a voulu faire, pensant avec raison que toute œuvre poétique doit s’expliquer par elle-même, et que les commentaires les plus ingénieux n’ajoutent rien à la valeur d’un drame ou d’un roman ; mais cette sympathie ne saurait être mise en doute, car il ne sépare jamais la peinture des temps et des lieux de la peinture de l’homme, et c’est par là surtout qu’il se détache de l’école poétique de la restauration. La couleur locale, la couleur historique, dont il comprend toute l’importance, ne sont pas pour lui la loi suprême de l’art. Il a trop de bon sens et de goût pour ne pas mettre l’homme au-dessus des temps et des lieux, c’est-à-dire pour ne pas placer la philosophie au-dessus de l’histoire. Il a visité l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre et l’Orient, et ses voyages n’ont jamais effacé de son esprit la supériorité de la vérité humaine sur la couleur locale.

L’école poétique de la restauration parlait de l’Orient sur ouï-dire ; elle connaissait assez mal le Romancero, la Divine Comédie, Hamlet et Roméo. Les exceptions qu’on pourrait citer ne détruiraient pas la légitimité de cette assertion, et cependant, pour l’école poétique de la restauration, la couleur locale, la couleur historique dominaient la vérité humaine, ou plutôt devaient la rendre inutile. Les décors et les costumes dispensaient de l’analyse des sentimens. Cette étrange doctrine, qu’il est impossible d’exposer sans sourire, est pourtant la