lui adresserai pas le infime reproche, car elle se rattache directement au sujet ; seulement elle a le tort très grave d’être écrite dans une langue que les femmes n’entendent pas. Il est vrai que la traduction littérale du distique de Palladas eût été de nature à les effaroucher quelque peu ? mais à quoi sert une épigraphe qui ne s’adresse pas à toutes les classes de lecteurs ? Franchement, pour raconter les aventures d’une bohémienne, il n’était pas nécessaire de fouiller dans l’Anthologie ; c’est un portique trop grave pour un édifice si peu sévère. Ces réserves faites, je m’empresse de reconnaître que le récit est très bien et très rapidement conduit. Dès qu’il n’est plus question du champ de bataille de Munda, dès que Carmen a entraîné sur ses pas le voyageur imprudent et curieux, l’attention ne languit pas un seul instant. C’est une fille sans foi ni loi, qui ne recule devant aucun crime ; si elle ne trempe pas ses mains dans le sang, elle conduit la victime désignée au-devant de la balle ou du poignard. Il n’y a donc en elle rien qui excite une bien vive sympathie ; mais cette nature sauvage et indomptée tient l’attention éveillée, et nos yeux ne la quittent pas un seul instant. Et puis, quand elle a vingt fois mérité la corde, elle meurt avec tant de noblesse et de résignation que nous devinons dans la bohémienne cruelle et perfide un cœur généreux, capable des plus grandes actions, des plus héroïques dévouemens, mais entraîné dans l’abîme de l’abjection par la misère et la contagion de l’exemple. Débarrassée de ses prolégomènes archéologiques, cette nouvelle pourrait donc prendre rang à côté des meilleurs récits de l’auteur. Telle qu’elle est, malgré le hors-d’œuvre que j’ai signalé, elle mérite une sérieuse attention, car c’est une étude faite d’après nature par un observateur habile, doué d’une mémoire fidèle, et dont l’imagination a grandi les souvenirs sans les dénaturer. Sans avoir sous la main un moyen de contrôle, j’oserais parier que tous les incidens de cette curieuse narration peuvent être justifiés dans le sens historique du mot. Nous y voyons la femme sous un aspect affligeant, mais sous un aspect vrai, et Carmen, en mourant, purifie l’air que nous avons respiré.
Lorsque parut la Chronique du temps de Charles IX, les romans de Walter Scott étaient en grande faveur ; les écrivains du second ordre croyaient pouvoir appliquer sans trop d’efforts le procédé du poète écossais : grave méprise, bévue grossière à laquelle nous devons une foule de romans aujourd’hui dès justement oubliés. M. Prosper Mérimée partageait, comme tous les hommes de goût, l’admiration générale pour Ivanhoe, pour les Puritains, pour la Prison d’Edimbourg ; mais il avait trop de sagacité pour se fier au procédé. Il attribuait au génie du narrateur le succès populaire de ses merveilleux récits, et ne pensait pas que l’auteur eut enseigné à ses contemporains