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150,000 francs tout au plus pour les 50 familles à installer. Cette avance faite par le département et toute avance ultérieure seraient restituées sur la plus-value que gagnerait la réserve communale par le succès de chaque groupe départemental, laquelle réserve pourrait être aliénée pour l’agrandissement futur de chaque village, mais seulement jusqu’à concurrence des sommes avancées au peuplement primitif. Les 50 familles représenteront au moins un village de 250 habitans. Les maisons bâties seront mises le plus à portée possible des champs de culture, et un espace de 24 ares au moins sera laissé entre chaque maison pour l’établissement d’une basse-cour, d’un potager, d’une étable et d’un hangar. Le département engagera des familles et non des individus, la présence de la famille attachant le colon au sol qu’il cultive et lui servant de secours et d’encouragement au travail. Chaque famille devra justifier de ses moyens d’existence pendant un an au moins, car dans les villages peuplés par l’état on a fait cette triste expérience, qu’il suffisait de nourrir un colon pour qu’il se crût dispensé de travailler.

Sans entrer, sur les voies et moyens du projet, dans des détails qui s’écarteraient de l’objet de cette étude, nous n’avons qu’à préciser la subvention qu’il en coûtera à chaque département pour fonder en Afrique un premier centre de colonisation dans des conditions assurées de succès. Cette subvention se réduit à 150,000 francs. Si les conseils-généraux, prétextant de leurs embarras financiers et de la pénurie de leurs ressources, hésitaient à faire à la colonisation cette faible avance, qui dans quelques années suffirait à affranchir les contribuables français de l’impôt qu’ils paient aujourd’hui à l’Afrique, la voie de l’emprunt s’ouvre devant eux, et plus d’une compagnie financière s’empressera de prêter aux départemens le capital qui leur manque. Ainsi disparaîtrait la seule fin de non-recevoir qu’on ait opposée jusqu’ici à la réalisation des villages départementaux.

La spéculation sait fort bien déjà que l’Algérie, grâce aux sacrifices passés et aux encouragemens prodigués par l’état, voit enfin s’ouvrir devant elle l’ère de l’abondance et la saison des récoltes opulentes. N’est-il pas à craindre que l’état, dans cette situation, s’il voit les conseils-généraux hésiter à lui venir en aide, ne se lasse d’être tout seul à s’intéresser à l’avenir de la colonie, et que, ayant à choisir entre le colon qui lui demande tout et le spéculateur qui ne lui demande rien, il ne finisse par livrer la colonisation à ceux qui peuvent exploiter sans les secours du budget ? Beaucoup de gens pensent, nous le savons, que l’état aurait raison d’agir ainsi. Ceux-là trouveront au projet des villages départementaux un vice radical, c’est la grande dépense qu’il occasionnera. « Quoi ! disent-ils, 5,000 francs par famille, 1,000 francs par individu ! Et pourquoi cette énorme dotation ? Pour arriver seulement à rendre la colonisation possible, quand on trouve à la laisser faire pour rien ! » La dépense, répondrons-nous, n’est qu’un des termes de la question. Il ne faut pas seulement demander à une entreprise ce qu’elle coûte, il faut surtout chercher ce qu’elle peut et doit rapporter. Un village qui réussira en Afrique moyennant cette dotation de 5,000 francs par famille coûtera moins cher en définitive au pays qu’un village qui échouerait, faute d’une dotation pareille. Qu’importe ce que coûteront les villages départementaux, si leur établissement a pour résultat de développer les ressources de l’Algérie et d’accroître les revenus de la France ? Aurait-on