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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1271

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que l’alliance de l’Europe aurait déjà fait accepter par la Russie, peut-être sans guerre, et qui lui coûtera d’autant plus cher que la lutte durera plus longtemps et embrassera un plus vaste espace ; car se figurer que la France et l’Angleterre, même seules, reculent, engagées comme elles le sont, c’est ne rien connaître aux nécessités de la politique. Et quant aux moyens de continuer la guerre, nous avons montré, dans un remarquable travail dont la presse anglaise nous emprunte les conclusions avec confiance, que ceux de la France et de l’Angleterre étaient presque sans limites, tandis que ceux de la Russie s’épuiseraient bientôt.

Une des raisons les plus singulières dont la Prusse colore son altitude actuelle, c’est que, par le fait de l’évacuation des principautés, la Russie serait rentrée dans une situation purement défensive, et que dès lors l’Allemagne se trouverait désintéressée. Il l’a, ce nous semble, dans une telle manière de voir, une double erreur : d’abord en ce que l’Allemagne n’est point sans doute désintéressée dans la solution que recevra la question d’Orient, en outre en ce que la position prise par la Russie est une position purement militaire, nullement politique, et sur laquelle elle peut revenir sans cesse. C’est doublement méconnaître le sens de la politique occidentale et l’origine de la crise actuelle. Quelle a été en effet dès le début la pensée de tous les cabinets ? Leur politique a été justement d’enlever à cette question tout caractère particulier pour lui laisser son caractère général européen. Cela est si vrai, que la France et l’Angleterre, dans leur alliance particulière, ont stipulé tout d’abord qu’elles ne poursuivraient aucun avantage personnel. Pourquoi l’Allemagne serait-elle désintéressée tant que la question n’est point résolue ? Et si l’Allemagne a un intérêt manifeste, de quel côté cet intérêt doit-il la faire pencher ? Est-ce du côté de la Russie, dont elle aurait à subir la tutelle d’autant plus onéreuse qu’elle aurait commencé par contrarier le tsar dans ses desseins ?

Ce qui est plus étrange encore, c’est de représenter la Russie, au point de vue de la question qui s’agite, comme étant dans une situation défensive. L’empereur Nicolas en disait autant lorsqu’il occupait les principautés. La Russie, cela est vrai, est matériellement rejetée aujourd’hui derrière ses frontières ; mais il n’est pas moins vrai que c’est à l’Europe qu’appartient réellement le rôle défensif, c’est pour sa défense que l’Europe a pris les armes. Quel a été le but de la guerre ? quel est encore le but des opérations qui se poursuivent ? C’est de défendre le droit européen, c’est d’affermir l’équilibre de l’Occident sur des bases telles qu’il ne puisse être à la merci de quelque entreprise nouvelle. Les conditions générales récemment convenues à Vienne n’ont d’autre caractère que de poser ces bases. Ainsi la guerre et la paix qui la suivra sont également une œuvre de défense pour l’Europe. Le jour où cette défense sera assurée, ce n’est point, sans nul doute, la modération des cabinets de l’Occident qui manquera dans la discussion des dernières clauses de paix. Après avoir pris les armes malgré elles, l’Angleterre et la France se retrouveront nécessairement d’accord avec l’Allemagne sur un point, sur la nécessité de rétablir la paix en garantissant l’Europe. Telle a été la pensée des divers protocoles de Vienne, et cette politique n’est agressive à l’égard de la Russie que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire à la