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sécurité de l’Europe. En un mot, il s’agit moins de porter atteinte à la grandeur de l’empire russe que de rendre cette grandeur compatible avec l’indépendance, avec le développement moral et politique du continent, et c’est là un terrain assez large pour que les concessions mêmes du tsar ne soient pas sans honneur.

C’est surtout, on le voit, parce que la guerre aurait un dénoûment plus prompt et se maintiendrait dans certaines limites en gardant son caractère, que l’abstention des deux grandes puissances allemandes nous paraît si regrettable ; mais au reste elles ne peuvent, et nous croyons qu’elles ne veulent ni l’une ni l’autre détourner les coups qu’une politique plus conséquente avec elle-même ne cessera de porter à l’ennemi commun jusqu’à ce qu’il ait reconnu la nécessité de nous désarmer en acceptant nos conditions. Attendons sans jactance, mais avec calme, le résultat de l’expédition de Sébastopol. S’il est heureux, comme la réunion des moyens matériels les plus formidables à l’émulation guerrière de deux braves armées permet de l’espérer, il pourra encourager les timides et fixer les indécis : la victoire a toujours eu ses courtisans. Si au contraire cette tentative ne réussissait pas, on n’en aurait que plus besoin de s’appuyer sur nous contre des ressentimens qu’à Vienne au moins ou a trop fait pour exciter.

On sait que les troupes qui ont pris Bomarsund doivent prochainement arriver en France, après avoir détruit des fortifications qui ont coûté fort cher à la Russie, et qui n’étaient que l’ébauche d’un immense établissement militaire destiné à menacer Stockholm de beaucoup plus presque Sébastopol ne menace Constantinople. A-t-on offert les îles d’Åland au roi de Suède ? Tout porte à le penser ; mais le cabinet de Stockholm aurait refusé une possession qui aurait aussitôt fait de la Suède une puissance belligérante, et aurait pu, dans le cours de l’hiver prochain, lui attirer sur les bras une armée russe. On comprend qu’il ait préféré le maintien d’une neutralité plus sûre, et qu’il se soit réservé le bénéfice du temps. La perspective de recouvrer la Finlande est assurément de nature à séduire les Suédois ; mais ce qui doit les refroidir sur cet agrandissement, c’est moins encore la crainte des longs ressentimens que la Russie en garderait que la jalouse opposition manifestée en Norvège contre une conquête qui dérangerait au profit de la Suède l’équilibre entre les deux parties de la monarchie. Quand on suit de près les passions et les intérêts qui s’agitent sur ce petit théâtre, ou est étonné, du peu de bon vouloir que le peuple norvégien a pour son voisin, de l’esprit d’indépendance qui l’anime et de l’antagonisme des deux existences nationales qui se développent, sans se confondre, sous le même souverain. L’union de la Norvège ajoute donc bien peu à la force de la Suède, et ne la dédommage pas de la perte de la Finlande. Le remède à ces jalousies, qui gênent la politique naturelle de la Suède, serait dans une combinaison souvent indiquée, et qui a de nombreux partisans dans les trois royaumes Scandinaves, mais à laquelle les circonstances ne se prêtent pas, et qui ne sortira peut-être jamais de la sphère des théories.

Nous ne reviendrons pas sur ce que le génie et l’artillerie ont vu dans la chute rapide de Bomarsund. Ce qui nous intéresse au moins autant, c’est la facilité avec laquelle nous avons transporté au fond de la Baltique un corps