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vernement a réprimé les turbulences révolutionnaires du 28 août démontre qu’il n’a qu’à vouloir pour imprimer aux affaires de la Péninsule une direction plus ferme et plus propre à ramener la sécurité dans le pays. Cette première victoire d’ailleurs a permis au cabinet de Madrid de prendre quelques nouvelles mesures conservatrices. Il a dissous toutes les réunions politiques autres que les réunions électorales ; il a assujetti la presse à une législation qui impose quelques conditions et quelques garanties, et la faible résistance que ces actes ont rencontrée prouve que toute la force de l’esprit révolutionnaire est dans l’indécision du pouvoir. Le gouvernement espagnol le sait aujourd’hui par sa propre expérience. Il n’est point certes au bout de son œuvre réparatrice, mais il est maître de choisir sa politique, et c’est pour cela qu’il est doublement responsable envers l’Espagne et envers l’Europe, qui ne peut-être indifférente aux convulsions de ce pays, malheureusement trop éprouvé.

En Amérique, le fait le plus remarquable de la politique, c’est la déconsidération croissante du gouvernement du général Pierce, et cette déconsidération, il faut le dire, n’est pas entièrement imméritée. Rarement on a vu une politique plus incertaine, plus louvoyante, moins sûre d’elle-même. Ce gouvernement a essayé de flatter les passions de tous les partis, et n’a réussi à en contenter aucun. Il a semblé un moment pencher du côté des free soilers et abandonner les principes de la convention de Baltimore en vertu desquels il avait été élu ; il s’est mis à dos les démocrates par cette conduite. Il n’a pas pris parti dans l’affaire des territoires de Nébraska et Kansas, et le bill relatif à l’organisation de ces territoires a passé sans qu’il s’en soit mêlé. Tout récemment, dans l’affaire du bombardement de San-Juan de Nicaragua, il a cru plaire aux passions d’envahissement des États-Unis, et il n’a réussi qu’à soulever l’indignation générale ; mais ce qui caractérise surtout la politique de ce gouvernement, c’est le rôle qu’il a pris dans les affaires de Cuba. D’abord il s’est conduit modérément, a lancé des proclamations pour déclarer que justice serait demandée par les voies légales, mais par les voies légales seulement ; puis il en a lancé de nouvelles, belliqueuses, arrogantes, et qui semblaient faire présager une prise d’armes prochaine. Heureusement les gens éclairés des États-Unis ne semblent pas disposés à le suivre dans cette malheureuse campagne. La conduite du capitaine du Black Warrior a été hautement condamnée plus d’une fois, et il n’est pas un homme sensé qui puisse hésiter à déclarer qu’il était en contravention avec les règlemens espagnols. Bien des illusions aussi se sont dissipées ; on commence à comprendre tous les dangers d’une entreprise comme la conquête de Cuba, et à craindre que si cette île cesse d’être espagnole, elle ne devienne plutôt africaine qu’américaine. Quant à l’achat amiable de cette perle des Antilles, tout le monde convient qu’il faut y renoncer, et que L’Espagne ne consentira pas à se dépouiller d’une possession d’où elle tire ses principales ressources : Aussi n’est-il pas étonnant que la demande des 10 millions de dollars qui avait été adressée au congrès pour un but qu’on n’avouait pas, mais qu’on supposait relatif aux affaires de Cuba, ait été repoussée. C’est un échec sérieux pour la politique du président, qui on subira bien d’autres avant la fin prochaine de son pouvoir. Quoi qu’il en soit, les États-Unis ne semblent pas disposés à aller en guerre, et nous les en félicitons.