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Le général Pierre aux élections de 1852 avait eu une majorité énorme sur le général Scott, mais les choses sont bien changées, et c’est aujourd’hui le général Scott dont la candidature est mise en avant pour la prochaine présidence. On avait écarté le général Scott, et on lui avait substitué un homme obscur, parce qu’on l’accusait de free soilisme, et le président élu a fait tout ce qu’il a pu pour faire penser qu’il penchait vers les mêmes doctrines. On accusait aussi le général Scott d’entretenir encore des sympathies pour le défunt parti des native Américans, et voilà qu’aujourd’hui ce parti ressuscite sous le nom de know nothing et sous la forme d’une espèce de société secrète. Que voulaient les native Americans ? Opposer des barrières à la naturalisation trop prompte, des émigrans étrangers. Les démocrates jetèrent feu et flamme, et le parti mourut bientôt ; mais la question qu’il avait soulevée ne mourut pas avec lui, et chaque année le danger qu’il avait voulu prévenir a augmenté d’intensité avec l’accroissement de l’émigration. Dans les nouveaux états, surtout dans l’ouest, le nombre des émigrans a bien vite dépassé le chiffre de la population de souche américaine. Alors une autre question s’est soulevée d’elle-même : la population américaine doit-elle être soumise à des étrangers venus on ne sait d’où, ou ces étrangers doivent-ils accepter la domination américaine ? Partout dans l’ouest, où ils sont le plus nombreux, ils font les élections, nomment les magistrats. Un jour viendra, et ce jour est peut-être prochain, où ils influeront assez sur la politique américaine pour moduler la constitution et les institutions des États-Unis. L’œuvre de Washington et de Franklin a-t-elle donc été fondée pour devenir la proie de quelques millions d’anarchiques papistes irlandais et d’anarchiques socialistes allemands ? Ce raisonnement a en en effet quel que fondement, il faut l’avouer. Jusqu’à présent, la race anglo-saxonne est parvenue à maintenir, à dompter et à absorber les élémens étrangers ; mais si ces élémens devenaient trop considérables, adieu la domination américaine ! Les émigrans ne s’américanisent plus aussi facilement que par le passé ; ils résistent davantage, ils aiment à vivre, ensemble, et forment déjà comme autant de nations étrangères au sein de la grande nation américaine du nord. C’est pour prévenir ce danger que se sont formés les know nothing. Malheureusement ils emploient pour arriver à ce but le plus détestable de tous les moyens, la force brutale. Depuis quelques mois, il est rare que chaque numéro du New-York Herald ne contienne pas le récit de quelques rixes sanglantes entre les know nothing et les émigrans. Tout récemment une lutte sauvage a éclaté dans le Missouri à propos d’une élection où les émigrans avaient eu l’avantage. Les Américains commencent donc à redouter pour eux les élémens dissolvans que leur apporte l’Europe, mais en même temps ils essaient de prévenir ce danger et d’interdire par la violence aux émigrans européens le droit de s’immiscer dans les affaires américaines : c’est là, il faut en convenir, une application un peu trop large et surtout trop arbitraire de la fameuse doctrine de Monroë. ch. de mazade.

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