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garantie matérielle, si l’Autriche faisait de cette transformation intérieure une question internationale, en sorte qu’il y avait, on peut le dire, une solidarité palpable entre la politique française et le parti modéré italien. La révolution changeait étrangement les choses ; elle avait pour résultat immédiat de glacer les résolutions généreuses de quelques-uns des princes italiens, de jeter l’incertitude parmi les populations, de rendre la force et l’ascendant moral aux partis extrêmes en intimidant les esprits modérés. Si l’Italie restait fidèle à ses princes, à la monarchie constitutionnelle, sous laquelle elle arrivait à peine à se placer, elle risquait de n’obtenir qu’un appui douteux et suspect de la politique démocratique qui triomphait à Paris. Si par un esprit de puérile et folle imitation elle se laissait dériver vers la république, elle recommençait son histoire, elle allait au rétablissement de l’absolutisme à travers une anarchie gigantesque.

Gioberti, réfugié encore en France, le sentait bien ; aussi, dans les lettres qu’il écrivait et qui sont jointes à ses Œuvres politiques, — Opérette politiche, — cherchait-il à prémunir les Italiens contre le péril des imitations violentes. Ce qu’il proposait n’avait rien d’extrême, c’était encore l’ancien programme : compléter l’union douanière du 4 novembre 1847 par une sorte de fédération politique entre les états italiens, reconnaître le nouveau gouvernement français, se tenir sur la défensive vis-à-vis de l’Autriche, et se borner à lui demander dans l’administration des provinces lombardo-vénitiennes un système plus libéral qui était dans ses intérêts[1]. C’est enfin du plus profond de cette situation que sortait la parole bientôt prononcée par Charles-Albert : L’Italie se suffira à elle-même ! — Italia farà da se ! — Parole qui était l’expression d’une nécessité politique autant que d’un entraînement généreux, mais qui, en révélant la volonté de s’affranchir d’une solidarité funeste avec la révolution française, montrait l’Italie allant droit contre un autre écueil, celui d’une périlleuse offensive prise contre l’Autriche.

L’Italie frémissait tout entière et semblait n’attendre qu’un signal. Ce signal, c’est de Milan qu’il partait. Là était en effet le véritable nœud de la question italienne, puisque là était la domination étrangère. Le 17 mars arrivait à Milan la nouvelle de la révolution de Vienne, dans laquelle avait disparu le prince de Metternich. Le 18, les Milanais ouvraient la lutte. Ce n’était pas un mouvement ordinaire ; il avait promptement à sa tête les chefs des plus grandes familles, les Casati, les Borromeo, les Litta. Un combat de cinq jours réduisait le maréchal Radetzky à se retirer sur Vérone au milieu des populations soulevées, et laissait les Milanais maîtres d’eux-mêmes.

  1. Opérette politiche, Capolago, 1851. Voir une lettre du 25 février 1848 à M. Giuseppe Massari, et une lettre du 16 mars à M. Pietro di Santa-Rosa, à Turin. C’est de Paris même que Gioberti écrivait.