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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/14

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Venise secouait au même instant, le 22 mars, le joug autrichien. La question de l’indépendance surgissait dans toute l’Italie et allait se poser naturellement d’abord à Turin, non plus sur le terrain pacifique, mais sur le terrain bien autrement redoutable de l’action.

Il semble toujours à quelques révolutionnaires qu’il n’y a rien de plus simple et de plus facile que de se jeter dans une telle entreprise. Charles-Albert, pressé par les insurgés milanais d’envoyer ses soldats à leur secours, poussé par une grande partie de la population piémontaise elle-même, voyait donc soudainement transformé en réalité le rêve immortel de sa vie, — la guerre de l’indépendance contre l’Autriche, la création possible du royaume de la Haute-Italie sous le sceptre de la maison de Savoie. Il n’en restait pas moins vrai que, comme il le disait, il sacrifiait la partie au tout, et qu’il engageait en outre une lutte à laquelle l’Autriche ne l’avait pas provoqué par un acte formel. La diplomatie étrangère à Turin le lui faisait sentir, et ce n’était pas seulement la diplomatie de la Russie et de la Prusse, c’était aussi celle de l’Angleterre, dont la sympathie se bornait au mouvement libéral de la péninsule, sans s’étendre au même degré à un remaniement de territoires. Charles-Albert avait besoin de repasser dans son esprit, plein d’anxiété, ses griefs personnels et les griefs de l’Italie contre l’Autriche, — ses querelles récentes mal apaisées, et les efforts tentés autrefois par le cabinet de Vienne pour lui enlever la couronne, l’arrogance de la diplomatie impériale, les duchés de Parme et de Modène transformés en espèces de délégations autrichiennes, l’invasion de Ferrare, et même, — Préoccupation étrange en ce moment ! — le roi de Sardaigne faisait revivre les droits de sa maison sur le duché de Milan[1]. Il y avait une raison plus actuelle et plus puissante : c’est que la Lombardie laissée à elle-même, c’était la république à Milan, et la république à Milan, c’était la possibilité d’un mouvement semblable à Turin, comme le disait le cabinet sarde au représentant de l’Angleterre, sir Ralph Abercromby. Enfin au-dessus de tout il y avait l’idée généreuse et enivrante de l’indépendance. Voilà comment, avec un esprit nourri d’une invariable pensée, Charles-Albert sentait à la dernière heure le besoin d’invoquer un autre droit que le droit révolutionnaire ! Voilà comment aussi, toutes ces considérations pesées, mettant les armes de Savoie sur le drapeau italien aux trois couleurs, il adressait le 23 mars à la Lombardie et à la Vénétie la première proclamation qui inaugurait la guerre : « Les destins de l’Italie sont mûrs, disait-il ; un destin plus heureux sourit aux intrépides défenseurs des droits foulés aux pieds… Peuples de la Lombardie et de la Vénétie, nos soldats, qui se

  1. Voir un Mémoire pour servir à l’intelligence des discussions qui ont existé entre la Sardaigne et l’Autriche.