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avait formé une des plus riches bibliothèques de son temps, la plus riche selon toute probabilité[1]. Il faut lire dans l’Ayîn-Akbăry tout le chapitre intitulé Tasvire khâneh (manuscrits et peintures), qui contient le détail des mesures adoptées pour la formation et l’accroissement de cette collection. On y trouve le passage suivant : « Une personne capable fait tous les jours la lecture à sa majesté, qui écoute tous les ouvrages (qu’elle a désignés) depuis le commencement jusqu’à la fin. On marque la place où elle s’arrête, avec la date du mois, et le lecteur est payé suivant le nombre de pages qu’il a lues. Il y a à peine un ouvrage d’histoire, de science ou de haute littérature qui n’ait pas été lu à sa majesté. Elle se les fait souvent relire et écoute toujours avec l’attention la plus soutenue. » Suit une liste des principaux ouvrages dont l’empereur faisait sa lecture favorite, puis l’énumération des ouvrages en langues étrangères traduits par son ordre.

Les lettres des missionnaires, qui ont résidé, comme nous l’avons vu, à la cour d’Akbăr, à trois époques différentes, complètent les renseignements que nous ont laissés les historiens musulmans sur le caractère et les habitudes de ce grand homme. Lorsque les jésuites virent Akbăr pour la première fois, il était dans sa quarantième année. Ils le représentent comme étant d’une constitution robuste et de moyenne stature, d’une physionomie noble et douce, l’œil vif et remarquablement intelligent. Du Jarric nous a conservé quelques détails curieux sur ce prince. Il décrit son habillement et mentionne qu’il portait une chaussure de forme particulière, de son invention, Il aimait à se vêtir de temps en temps à l’européenne, d’après la mode portugaise, en soie noire, mais il ne le faisait que dans son intérieur. Il avait toujours le sabre au côté ou à la portée de sa main. Ses gardes du corps étaient changés tous les jours, ainsi que les officiers et gens de service auprès de sa personne, de manière cependant à reprendre leurs fonctions tous les huit jours[2]. Il était affable et gai dans le commerce habituel, sans jamais s’écarter de la décence et de la gravité royales. Il s’entourait d’hommes instruits qui traitaient devant lui de toutes sortes de questions et lui racontaient tout ce qui pouvait l’intéresser ou l’instruire : « Il espérait, disent les jésuites, suppléer par ces doctes exercices à son manque de lettres[3]. » Il

  1. « Vingt-quatre mille manuscrits ou volumes écrits à la main, et si richement reliez, qu’on les a estimez six millions quatre cens soixante-trois mille et sept cent trente-un ropias, ou trois millions deux cens trente-un mille et huit cens soixante-cinq écus et demi. » (Voyages du sieur Jean Albert de Mandelslo, t. Ier, colonne 121.)
  2. L’armée était formée de douze divisions qui faisaient chacune une année de service à la capitale ou au quartier-général impérial ; — elle était aussi divisée en douze corps qui étaient de service pour un mois donné. Enfin la garde impériale était composée de sept divisions qui faisaient le service un jour de chaque semaine.
  3. Ils ont même affirmé qu’Akbăr ne savait pas lire ! Il est impossible d’admettre l’exactitude de cette assertion, quand on se rappelle qu’Akbăr était le petit-fils de Bàbăr, le fils de Houmayoûn (tous deux hommes lettrés), et qu’il avait eu pour précepteurs le moullah Pir Mohammâd et le hàdjy Mohammâd-Khan-Systany. Ferishta dit en propres termes : « Akbăr n’était pas fort lettré ; il écrivait cependant quelquefois des vers et était versé dans la lecture de l’histoire. » C’est là évidemment la vérité.