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assemblée constituante qui pouvait tout remettre en doute, se transformer même en convention, et où le Piémont se trouverait en minorité en face de la coalition des états nouvellement annexés ; ils ne voulaient pas de l’existence d’une consulte lombarde indépendante jusqu’à la réunion de l’assemblée constituante, ce qui par le fait rendait illusoire l’union immédiate qu’on prétendait consacrer. Ce qu’ils voulaient en un mot, c’était l’annexion dans des conditions que l’auteur du Rinnovamento, Gioberti, tout en les taxant de municipales, est forcé de reconnaître plus régulières. Le parti démocratique acceptait tout, l’assemblée constituante et la consulte lombarde, il avait la complicité de toutes les opinions ardentes qui ne voyaient que la fusion, quel qu’en fût le prix, et en emportant le succès, il entraînait la première crise ministérielle dans le Piémont constitutionnel. Le cabinet Balbo disparaissait et était remplacé par un cabinet qu’on pourrait appeler le ministère du royaume de la Haute-Italie. MM. Casati et Durini y représentaient la Lombardie ; M. Gioia, le duché de Plaisance ; Gioberti allait y entrer ; M. Pareto y restait, représentant Gênes.

Qu’on songe que ce ministère du nouveau royaume italien venait au monde au moment où les désastres commençaient pour l’armée. Ces désastres eux-mêmes, comme toutes les opérations militaires jusque-là, étaient l’aliment perpétuel des polémiques de la presse et des interpellations de tribune. L’opposition démocratique piémontaise venait fatalement en aide à l’agitation républicaine de Milan, non qu’elle eût la même pensée, — elle cédait à un triste besoin de détraction et de critique. On contestait à ce roi qui était en Lombardie le droit constitutionnel d’aller braver les balles à la tête de ses soldats. On opprimait l’armée sous d’injurieuses comparaisons avec les immortelles campagnes de Bonaparte dans ces mêmes contrées. On soufflait la haine entre les officiers et les soldats. On jetait aux généraux l’accusation vulgaire de trahison, si bien que l’un d’eux, en rentrant dans le Piémont, entendait murmurer autour de lui : « Voilà le plus grand traître ! » Le sentiment amer de ces injustices se fait jour dans un livre sur la Guerre de l’Indépendance en 1848, qui passe pour être l’œuvre de Charles-Albert.

Or quelle était cette armée ainsi poursuivie par les républicains de la Jeune-Italie et par les libéraux piémontais eux-mêmes ? Chaque jour, elle renouvelait ses combats, souvent dans les conditions les plus défavorables, sous un ciel brûlant, ayant à supporter la faim dans les provinces les plus fertiles de l’Europe, dans la grasse Lombardie. Il arrivait parfois aux soldats sardes d’aller au feu n’ayant pas mangé depuis trente heures. Au début de la guerre, le Piémont restait chargé de la solde de son armée, le gouvernement provisoire