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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/20

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où le roi piémontais et ses enfans prodiguaient chaque jour leur courage et leur vie.

Le Piémont du moins était-il tout entier à la lutte sérieuse où son armée se trouvait engagée ? Le Piémont entrait dans la vie constitutionnelle avec toute l’inexpérience des peuples à qui échoit le périlleux bienfait de grandes libertés dans les circonstances les plus critiques. Or quel usage faisait-on de ces libertés nouvelles qui venaient de naître ? Les clubs se formaient et s’agitaient, les journaux se multipliaient et se remplissaient de déclamations oiseuses. Le 8 mai 1848 s’ouvrait à Turin le premier parlement ; il reflétait assez curieusement l’état du pays. Gioberti avait été le héros et le candidat de tous les partis. L’élément constitutionnel conservateur était représenté par MM. Balbo, Lisio, Sclopis, Pinelli, Santa-Rosa, d’Azeglio qui allait se faire blesser en défendant Vicence. L’élément démocratique comptait MM. Valerio, Sineo, Ravina, Ratazzi, — Puis, à l’extrémité, M. Brofferio, imagination exubérante et chimérique, composait tout seul une montagne. La masse était indécise, accessible à toutes les influences et neuve aux affaires.

La chambre piémontaise avait deux écueils à éviter, — les questions futiles et les questions irritantes, les puérils combats de paroles et tout ce qui pouvait affaiblir l’armée dans son prestige ou dans ses opérations : elle allait chaque jour malheureusement donner contre ces deux écueils. — C’était un grand objet de discussion de savoir si le discours de la couronne avait pu dire que « la providence mûrit les temps de la liberté, » ou que « la confiance dans les princes est un élément de prospérité pour les peuples. » Plusieurs jours se passaient peu après en harangues sonores sur la suppression des jésuites et des dames du Sacré-Cœur, à tel point qu’un député finissait par s’écrier : « Si nous perdons le temps à supprimer quatre moines, nous ne supprimerons jamais les Allemands ! » — La loi d’annexion de la Lombardie, en plaçant le parlement sarde en face du problème du moment, venait mettre à nu l’élément le plus grave de la situation, l’antagonisme de la Lombardie et du Piémont, de Milan et de Turin. Si Milan s’était laissé flatter de l’espoir de devenir la capitale du nouveau royaume, Turin se défendait de toute la force d’intérêts nombreux, de toute la puissance de considérations politiques qui plaçaient dans le Piémont la base, le noyau ferme et solide du nouvel état. C’étaient les constitutionnels conservateurs qui pensaient ainsi, le ministère d’abord sauf M. Pareto[1], puis bien d’autres membres du parlement, dont le principal était M. Pinelli. Les conservateurs ne voulaient pas de cette énigme d’une

  1. L’opposition de M. Pareto dans le conseil s’expliquait par son origine génoise et par le vieil esprit d’antagonisme de Gènes vis-à-vis de Turin.