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anciens, sont-ils la règle invariable, le canon dont il ne faut point s’écarter sous peine de tomber dans la monstruosité, ces modèles impliquant nécessairement avec l’idée de la grâce, de la vie même, celle de la régularité ?

L’antique ne nous a pas exclusivement transmis de semblables types. Le Silène est beau, le Faune est beau, le Socrate même est beau : cette tête est pleine d’une certaine beauté malgré son petit nez épaté, sa bouche lippue et ses petits yeux. Elle ne brille pas, il est vrai, par la symétrie et la belle proportion des traits, mais elle est animée par le reflet de la pensée et d’une élévation intérieure. Encore le Silène, le Faune et tant d’autres figures de caractère sont-elles de la pierre dans l’antique. On concevra facilement que la pierre, le bronze et le marbre demandent dans l’expression des traits une certaine sobriété qui est de la raideur et de la sécheresse quand on l’imite en peinture. Ce dernier art, qui a la couleur, l’effet, qui se rapproche davantage de l’imitation immédiate, admet des détails plus palpitans, moins conventionnels, et qui s’écarteraient encore davantage de la forme sévère.

Les écoles modernes ont proscrit tout ce qui s’écarte de l’antique régulier ; en embellissant même le Faune et le Silène, en ôtant des rides à la vieillesse, en supprimant les disgrâces inévitables et souvent caractéristiques qu’entraînent dans la représentation de la forme humaine les accidens naturels et le travail, elles ont donné naïvement la preuve que le beau pour elles ne consistait que dans une suite de recettes. Elles ont pu enseigner le beau comme on enseigne l’algèbre, et non-seulement l’enseigner, mais en donner de faciles exemples. Quoi de plus simple en effet, à ce qu’il semble ? Rapprocher tous les caractères d’un modèle unique, atténuer, effacer les différences profondes qui séparent dans la nature les tempéramens et les âges divers de l’homme, éviter les expressions compliquées ou les mouvemens violens capables de déranger l’harmonie des traits ou des membres, tels sont en abrégé les principes à l’aide desquels on tient le beau comme dans sa main ! Il est facile alors de le faire pratiquer à des élèves, et de le transmettre de génération en génération comme un dépôt.

Mais la vue des beaux ouvrages de tous les temps prouve que le beau ne se rencontre pas à de semblables conditions ; il ne se transmet ni ne se concède comme l’héritage d’une ferme ; il est le fruit d’une inspiration persévérante qui n’est qu’une suite de labeurs opiniâtres ; il sort des entrailles avec des douleurs et des déchiremens, comme tout ce qui est destiné à vivre ; il fait le charme et la consolation des hommes, et ne peut être le fruit d’une application passagère ou d’une banale tradition. Des palmes vulgaires peuvent