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couronner de vulgaires efforts ; un assentiment passager peut accompagner, pendant la durée de leur succès, des ouvrages enfantés par le caprice du moment ; mais la poursuite de la gloire commande d’autres tentatives : il faut une lutte obstinée pour arracher un de ses sourires ; ce serait peu encore : il faut, pour l’obtenir, la réunion de mille dons et la faveur du destin.

La simple tradition ne saurait produire un ouvrage qui fasse qu’on s’écrie : « Que c’est beau ! » Un génie sorti de terre, un homme inconnu et privilégié va renverser cet échafaudage de doctrines à l’usage de tout le monde et qui ne produisent rien. Un Holbein avec son imitation scrupuleuse des rides de ses modèles et qui compte pour ainsi dire leurs cheveux, un Rembrandt avec ses types vulgaires remplis d’une expression si profonde, ces Allemands et ces Italiens des écoles primitives avec leurs figures maigres et contournées et leur ignorance complète de l’art des anciens, étincellent de beautés et de cet idéal que les écoles vont chercher la toise à la main. Guidés par une naïve inspiration, puisant, dans la nature qui les entoure et dans un sentiment profond, l’inspiration que l’érudition ne saurait contrefaire, ils passionnent autour d’eux le peuple et les hommes cultivés, ils expriment des sentimens qui étaient dans toutes les âmes : ils ont trouvé naturellement ce joyau sans prix qu’une inutile science demande en vain à l’expérience et à des préceptes.

Rubens a vu l’Italie et les anciens ; mais, dominé par un instinct supérieur à tous les exemples, il revient des contrées où s’engendre la beauté et demeure Flamand. Il trouve la beauté du peuple et des apôtres, hommes simples, dans cette Pêche miraculeuse où il nous peint le Christ disant à Simon : « Laisse là tes filets et suis-moi ; je te ferai pêcheur d’hommes. » Je défie que l’Homme-Dieu eût dit cela à ces disciples si bien peignés auxquels il donne l’institution chez Raphaël. Sans l’admirable composition, sans cette disposition savante qui place le Christ tout seul d’un côté, les apôtres rangés ensemble en face de lui, saint Pierre à genoux recevant les clés, nous serions peut-être choqués d’un certain apprêt dans les poses et dans les ajustemens. Rubens, par contre, présente des lignes brisées et décousues, des draperies sans élégance et jetées comme au hasard, qui déparent ses sublimes et simples caractères : il n’est plus beau par ce côté.

Si l’on compare la Dispute du Saint-Sacrement de Raphaël au tableau des Noces de Cana de Paul Véronèse, on trouvera chez le premier une harmonie de lignes, une grâce d’invention qui est un plaisir pour les yeux comme pour l’esprit. Cependant les mouvemens contrastés des figures et la grande recherche des formes en général introduisent dans cette composition une sorte de froideur ; ces saints