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et ces docteurs ont l’air de ne point se connaître, et chacun d’eux semble poser là pour l’éternité. Dans le festin de Paul Véronèse, je vois des hommes comme je les rencontre autour de moi, de figures et de tempéramens variés, qui conversent et échangent des idées, le sanguin près du bilieux, la coquette près de la femme indifférente ou distraite, enfin la vie et le mouvement. Je ne parle pas de l’air, de la lumière, ni des effets de la couleur, qui sont incomparables.

Le beau est-il également dans ces deux ouvrages ? Oui sans doute, mais dans des sens différens : il n’y a pas de degrés dans le beau ; la manière seule d’exciter le sentiment du beau diffère. Le style est aussi fort chez les deux peintres, parce qu’il consiste dans une originalité puissante. On imitera certains procédés pour ajuster des draperies et balancer les lignes d’une composition, on cherchera les types les plus purs de la forme, sans atteindre en aucune façon le charme et la noblesse d’idées de Raphaël ; on copiera des modèles avec leurs détails de nature ou des recherches d’effet propres à produire l’illusion, sans rencontrer cette vie, cette chaleur présente partout qui forme le lien de ce magique tableau des Noces de Cana.

Quand David témoignait l’admiration la plus vive pour le Christ en croix de Rubens et en général pour les peintures les plus fougueuses de ce maître, était-ce à cause de la ressemblance de ces tableaux avec l’antique, qu’il idolâtrait ?

D’où vient le charme des paysages flamands ? La vigueur et l’imprévu de ceux de l’Anglais Constable, le père de notre école de paysage, si remarquable d’ailleurs, qu’ont-ils de commun avec ceux du Poussin ? La recherche du style dans certains arbres de convention des premiers plans ne dépare-t-elle pas un peu ceux de Claude Lorrain ?

On se rappelle ce que dit Diderot à ce peintre qui lui apporte le portrait de son père, et qui, au lieu de le représenter tout simplement dans ses habits de travail (il était coutelier), l’avait paré de ses plus beaux habits : « Tu m’as fait mon père des dimanches, et je voulais avoir mon père de tous les jours. » Le peintre de Diderot avait fait comme presque tous les peintres, qui semblent croire que la nature s’est trompée en faisant les hommes comme ils sont ; ils fardent, ils endimanchent leurs figures : loin d’être des hommes de tous les jours, ce ne sont pas même des hommes : il n’y a rien sous leurs perruques frisées, sous leurs draperies arrangées : ce sont des masques sans esprit et sans corps.

Si le style antique a posé la borne, si l’on ne trouve que dans la régularité absolue le dernier terme de l’art, à quel rang placerez-vous donc ce Michel-Ange, dont les conceptions sont bizarres, la forme tourmentée, les plans outrés ou complètement faux et très