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Les premières scènes du roman se passent dans la résidence seigneuriale d’un riche propriétaire, Alexis Abramovitch Négrof, général en retraite, vivant au fond de ses terres avec sa femme et ses enfans. Un jeune instituteur russe, que le général a fait venir de Moscou, vient d’arriver. Il s’appelle Dmitri Vladimirovitch Kroutsiferski. Le général fait à l’instituteur une réception assez peu courtoise. Quelle est cependant l’histoire de ces deux personnages ? — Le romancier a soin de nous la faire connaître aussitôt après nous les avoir présentés.

Dmitri a longtemps vécu au sein de sa famille. Fils d’un médecin de province et d’une honnête Allemande, il était alors un enfant timide, doux et d’une constitution délicate. Plus tard, à l’université, il fut soutenu par un seigneur russe qui l’avait pris en amitié, et il s’y distingua par son application. Quatre ans après, quand il en sortit, jeune homme élancé, aux yeux bleus, au maintien modeste, il offrait le type de ces laborieux instituteurs d’Allemagne qui semblent nés pour l’existence calme et obscure qu’on mène dans les villes universitaires de ce pays. Cependant son sort devait être bien différent Quelque honorable que soit le titre de candidat qu’il a obtenu en quittant l’université, Dmitri se trouve bientôt dans le plus complet dénûment. Pour surcroît de malheur, il reçoit une lettre de son père qui lui demande des secours. Comment faire ? — Dmitri s’est vainement adressé à un professeur qui le protège, et dont il n’a reçu que des conseils : il se jette en pleurant sur son lit. En ce moment paraît devant lui un personnage fort singulier. C’est évidemment un provincial. L’énorme visière de sa casquette ombrage une figure enluminée, mais qui exprime la bonté et une tranquillité d’âme parfaite, n porte une redingote marron avec un collet à l’ancienne mode, et tient à la main une canne en bambou.


« — C’est vous qui êtes M. Kroutsiferski, candidat de l’université ? dit-il en s’avançant.

« — Oui, répondit Dmitri, à votre service.

« — Voici ce qui m’amène, monsieur Kroutsiferski ; mais je vous demanderai la permission de m’asseoir ; Je suis venu à pied, et d’ailleurs mon âge me donne le droit de ne pas me gêner avec vous. Je suis le docteur en médecine Kroupof, inspecteur des institutions médicales de l’arrondissement de ***, continua-t-il avec une lenteur désespérante. Je viens vous faire une proposition. » Mais ici le vieux docteur, qui était un homme méthodique, tira de sa poche une énorme tabatière qu’il posa sur la table, un mouchoir rouge qu’il plaça près de la tabatière, et enfin un mouchoir blanc avec lequel il s’essuya le front ; il aspira ensuite une prise de tabac et reprit en cet termes : « Je me rendis hier chez le professeur Antone Ferdinanedovitch, nous sommes de la même promotion ; non. Je crois qu’il est sorti un an avant mol. Oui, c’est cela ; mais n’importe, nous étions camarades et amis. Je lui ai demandé de m’indiquer un bon précepteur pour les entas du général Négrof, propriétaire de mon district. Il m’a donné votre adresse ; êtes-vous disposé à accepter cette place. »