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a bien donné sur quelques points des signes incontestables de vitalité, il a tristement trompé, en matière de gouvernement, d’administration et de police intérieure, les espérances des gouvernemens qui ont concouru à son indépendance. Un rapide coup d’œil jeté sur la situation de la Grèce, sur l’esprit des Hellènes, sur leurs progrès matériels, leurs institutions, leurs mœurs publiques, suffira pour justifier cette conclusion.

Commençons d’abord par les faits qui annoncent ce qu’il y a de vivace dans la race grecque. On n’a que des applaudissemens à donner aux Hellènes lorsque l’on voit l’impulsion qu’ils ont imprimée à l’instruction publique, et les progrès matériels qu’ils ont accomplis par leurs seules forces. Dans le développement de l’instruction publique, peuple et gouvernement ont fait leur devoir : M. J.-J. Ampère a déjà rendu justice dans cette Revue au zèle que les Grecs ont déployé pour fonder leur système d’instruction publique, et il a constaté le prompt et brillant succès qui a couronné ces nobles efforts. Dans la sphère des intérêts matériels, les progrès de la marine commerciale n’ont pas été moins remarquables : dès 1850, la marine grecque comptait 5,000 navires, dont plus de 1,200 de 300 tonneaux et au-dessus. Manquant de bras, de capitaux et de voies de communication, les Grecs se sont appliqués à l’agriculture avec la même industrie, sinon avec le même bonheur, et l’on s’étonne, en parcourant les vallées de la Messénie, de l’Arcadie et de la Laconie, qu’ils aient pu si bien faire avec des ressources si insuffisantes. Ici l’action du gouvernement a été nulle, tout est venu de l’initiative des particuliers : le gouvernement n’a entrepris aucun des travaux publics que réclamait l’état du pays ; les localités les plus voisines sont restées pour ainsi dire sans relations suivies les unes avec les autres ; on voyage à cheval pendant plusieurs jours dans le Péloponèse sans rencontrer l’apparence d’une route. Il est permis de dire qu’ainsi réduite à elle-même, la nation hellène a réalisé tous les progrès matériels qui étaient en son pouvoir ; son activité n’a été bornée que par le chiffre de sa population, qui est d’un million d’âmes sur un sol qui en nourrirait aisément le double, par la rareté de l’argent et par la négligence du gouvernement. Voilà les côtés qui prouvent la vitalité de la Grèce et qui la recommandent à l’intérêt de l’Europe : comment désespérer d’un peuple si avide d’instruction, si intelligent et si industrieux ?

Mais voici une première ombre au tableau : la Grèce tout entière n’a point accompli les mêmes progrès. Trois provinces n’ont point participé à ce mouvement : ce sont l’Acarnanie et la Phtiothide, qui au nord bordent la frontière ottomane, et le Magne, à l’extrémité méridionale du Péloponèse. Les habitudes féodales se sont conservées