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maintenant sur ces bases on peut négocier la paix ! — Voilà le résumé de la situation telle que la ferait la note russe, si les versions qu’on en donne étaient exactes.

La vérité est qu’à Vienne la première impression paraît avoir été peu favorable. La réponse du tsar n’a point été jugée satisfaisante. Comment se fait-il que l’impression ne semble point avoir été la même à Berlin ? Cela s’expliquerait peut-être par une certaine différence calculée dont on a parlé dans la rédaction des documens adressés aux deux cours. Toujours est-il que le cabinet de Berlin a reçu plus favorablement la réponse de l’empereur Nicolas, et on dit même qu’il a cherché à faire partager son sentiment au cabinet de Vienne. Une telle démarche est sans doute destinée à avoir peu de succès. On peut certes mieux augurer de la fermeté du gouvernement autrichien. Après tout, de quoi s’agit-il en ce moment pour l’Allemagne ? Il s’agit de savoir si elle restera fidèle à la politique qu’elle a sanctionnée et consacrée elle-même, ou si elle se laissera aller à cette politique chimérique et flottante que semble caresser par instans l’esprit du roi Frédéric-Guillaume, et qui consiste, après avoir mis le droit tout entier d’un côté, à se tenir en équilibre entre les puissances occidentales et la Russie. Les affaires d’Orient ont pris un cours qu’il n’est donné à aucune puissance de détourner aujourd’hui.

Quoi qu’il arrive, c’est la question des rapports de l’Orient et de l’Occident. Il doit en sortir des garanties nouvelles et plus efficaces pour la paix et la sécurité de l’Europe. Lorsque la conférence de Vienne faisait de cette pensée le principe de ses protocoles, lorsque récemment encore en Allemagne on mettait au nombre des conditions de la paix l’affranchissement des bouches du Danube, la liberté de la Mer-Noire, que faisait-on autre chose que prendre des mesures contre la Russie et entrer dans cette voie du renouvellement de l’état de l’Orient, qui est désormais le but de l’Angleterre et de la France ? Telle est en effet la question, et le roi Frédéric-Guillaume semble la juger moins en elle-même que d’après ses goûts de paix universelle et peut-être ses craintes de voir une armée russe à Berlin. L’inconvénient de ce système, c’est de ne satisfaire personne, pas même la Russie, qui ne se sert des irrésolutions du souverain de Potsdam que parce qu’elles lui sont utiles, parce qu’elle espère, par ces irrésolutions, arriver à dissoudre l’alliance des deux principales puissances de l’Allemagne. Si, ce qu’on ne peut croire, la dernière réponse russe avait ce résultat, elle aurait atteint probablement le seul succès auquel elle vise. Le président du conseil, M. de Manteuffel lui-même, doit voir qu’il ne suffit pas de certaines complaisances. Les journaux partisans de la Russie ne le traitaient-ils pas récemment de « bourgeois homme d’état ? » Que le cabinet de Berlin ait pu fonder au premier abord quelque espérance de paix sur les dernières communications venues de Saint-Pétersbourg, cela se peut ; dans le fond, il ne tardera pas à reconnaître que la paix a besoin aujourd’hui d’autres conditions, et les résolutions de l’Allemagne se révéleront telles qu’elles doivent être, unanimes et décisives en faveur du droit de l’Europe et de la civilisation occidentale. L’Autriche et la Prusse entreront à leur tour dans cette coalition généreuse où la France et l’Angleterre les attendent.