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sa tribu, mais il n’y sera pas un objet de mépris. On dira de lui tout simplement avec cette absence de colère que le fatalisme produit souvent : « Dieu n’a pas voulu qu’il fût brave, il faut le plaindre et non le blâmer. » On exige cependant que l’homme faible de cœur rachète ses défaillances par la prudence de ses conseils et surtout par une constante générosité.

La forfanterie est traitée avec plus de mépris que la crainte. « Si tu dis que le lion est un âne, va lui mettre un licol ; » ainsi s’exprime un proverbe oriental qui trouve une fréquente application. Malgré les ardeurs de leur sang et les hyperboles de leur langue, les Arabes veulent au courage cette dignité du silence dont ils font tant de cas. Ils n’ont rien sous ce rapport des nations qu’ils ont combattues au temps du Cid, ils n’en ont rien non plus sous le rapport des luttes individuelles. Chez eux, les combats particuliers sont inconnus. Une tradition, qui peut-être remonte aux croisades, dit bien pourtant qu’autrefois des chefs illustres se sont battus en combat singulier ; mais les plus anciens dans les tribus n’ont sur de pareils faits aucuns souvenirs personnels. Quand un homme vous a offensé, on se venge comme au XVIe siècle, par l’assassinat. On trouve des gens de large conscience et de complaisante humeur qui, à des prix très modérés, vous débarrassent de votre ennemi. Toutefois, quand on est plus avare de son or que de sa vie, quand on a la main prompte à frapper et la bourse lente à s’ouvrir, on épie une occasion de tomber soi-même sur celui dont on a reçu une injure. On le tue ou on est tué ; si on succombe, on lègue souvent à un autre la dette du sang, car, pour ne pas être sous la sauvegarde du duel, la vengeance n’en est pas moins debout et florissante chez les Arabes. Elle passe souvent de génération en génération. Là on retrouve ces querelles de races qui ont rougi autrefois le pavé des villes italiennes et ensanglantent encore aujourd’hui le sol d’une île française.

Les causes les plus générales de la vendetta arabe sont les discussions pour les eaux, les pâturages, les limites, — le rapt d’un jeune femme ou d’une jeune fille, — le meurtre d’un mari jaloux, d’un rival préféré, d’une femme qui n’aura pas dit oui, — les rivalités quelconques entre les chefs, dont les parens d’abord, les amis et les cliens ensuite, la tribu tout entière et les tribus alliées enfin épousent la querelle. Par cela même que le duel est inconnu chez les Arabes, il arrive que les querelles individuelles s’y vident par l’assassinat, et que de proche en proche incessamment alimentées, les haines s’éternisent. Par contre, il est remarquable que la vendetta tend à s’effacer des mœurs d’un peuple, comme en Corse et en Italie, à mesure que le duel y est accepté. Le duel aurait en cela rendu un immense service à la société, puisqu’il aurait substitué le combat