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où l’allégresse se traduit par des festins et des offrandes aux marabouts dont il importe de se ménager les influences. La plus large hospitalité est donnée aux alliés, à qui l’on paie également le prix de leurs services (zebeur). On les reconduit ensuite à trois ou quatre heures de marche dans la direction de leur territoire, et l’on se quitte enfin en se renouvelant le serment il de venir au secours les uns des autres le matin, si l’on est demandé le matin, la nuit, si l’on est demandé la nuit.»

À mesure qu’il avance en âge, l’Arabe acquiert plus de gravité ; chaque poil blanc de sa barbe le ramène à des idées plus sérieuses ; il fréquente plus volontiers les gens de Dieu et se montre envers eux plus généreux ; il est plus religieux, on le voit moins souvent à la chasse, aux noces, aux fantasias. Ses occupations de chef lui laissent d’ailleurs moins de temps libre : il lui faut rendre la justice, accroître son bien, élever ses enfans, se ménager des alliances. Néanmoins l’esprit chevaleresque de sa jeunesse ne fait que sommeiller en lui : que la poudre parle pour une insulte faite à sa tribu, il ne restera point sous la tente. — Trop heureux, dira-t-il, de mourir en homme au combat, et non pas comme une vieille femme. Certaines grandes familles se vantent hautement de n’avoir point souvenir qu’un seul de leurs ancêtres soit mort dans son lit.

S’il échappe pourtant à cette fin désirée, dès qu’il se sent sous la main de la mort, il fait venir ses amis, car l’amitié chez les Orientaux est conviée à tous les grands actes de l’existence humaine. « Mes frères, leur dit-il, quand il lui est possible de parler, je ne vous reverrai plus en ce monde ; mais je n’étais que de passage sur cette terre, et je meurs dans la crainte de Dieu. » Puis il récite la chehada, c’est-à-dire l’acte symbolique de la foi musulmane : « Il n’y a qu’un seul Dieu, et Mohamed est l’envoyé de Dieu. » Si sa bouche se refuse à prononcer ces paroles sacrées, un des assistans lui prend la main droite et soulève son index ; ce signe, auquel le mourant adhère avec toute l’énergie qui réside encore dans son enveloppe terrestre, est un témoignage rendu à l’unité de Dieu. Quand il a accompli la chehada, il peut mourir en paix.

Les pompes humaines ne font point défaut au chef arabe, surtout au guerrier mort en combattant pour sa tribu. On l’enveloppe dans un linceul blanc, et on l’expose sur un tapis dont on a relevé les bords. Les neddabat, c’est-à-dire les femmes qui remplacent en Orient les pleureuses antiques, se tiennent autour du mort les joues noircies avec du noir de fumée et les épaules drapées avec des étoffes à tentes ou des sacs en poil de chameau. À quelques pas d’elles, un esclave tient par la bride la jument de guerre ou de fantasia, la