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comme dans cette phrase : « Monsieur, j’ai reçu votre lettre le 29 d’avril lorsque j’étais au Cumin. Après l’avoir lue, madame votre femme m’ayant fait l’honneur de venir me voir avec monsieur votre fils, ils ont jugé à propos que vous prissiez la peine de venir ici, et m’ont obligé de vous en écrire[1]. »

Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, la tradition latine se continua par les poètes avec un certain éclat. Le père Vanière, dans le Prædium Rusticum, s’est approché de Virgile autant qu’il est possible à un moderne d’en approcher ; ses descriptions de la vie champêtre et de la nature, quoique tombant souvent dans de minutieux détails, sont empreintes d’un grand sentiment et se font lire avec intérêt. Les Fables de Desbillons sont peut-être l’imitation la plus heureuse qu’on ait faite de celles de La Fontaine. L’Enfant prodigue du père Du Cerceau mérita d’être traduit en vers français, et obtint au théâtre un succès de larmes. Enfin l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac, publié en 1747, peut être considéré comme l’un des manifestes les plus brillans et les plus sérieux dirigés par l’esprit chrétien contre le scepticisme philosophique.

L’usage d’écrire en latin les ouvrages de science, de philosophie et d’érudition, si fréquent encore sous le règne de Louis XIV, ne tarda point à se perdre sous le règne de Voltaire, car la langue française, en se propageant dans toute l’Europe, rendit de moins en moins nécessaire l’usage de l’idiome qui dans le moyen âge avait tenu lieu de la langue universelle. Les encyclopédistes d’ailleurs voulaient parler à la foule, et pour s’en faire comprendre ils devaient nécessairement s’exprimer comme elle. La thèse soutenue par Boileau, « qu’on ne saurait bien écrire dans une langue morte, » fut reprise avec un grand appareil de raisonnement par d’Alembert, qui attaqua très vivement les études et les méthodes des collèges et des ordres religieux. Voltaire fut du même avis, et le latin, proscrit par les philosophes, se réfugia chez les jésuites. En même temps que l’on bannissait le thème, on recommandait la version ; les auteurs classiques jouirent d’une faveur nouvelle, non parce qu’ils étaient classiques, mais parce qu’ils étaient païens, et les traducteurs se multiplièrent. De ce côté, le progrès au XVIIIe siècle est très notable. Les textes sont mieux compris, plus fidèlement rendus ; la phrase est claire, simple et nette, sans reproduire cependant d’une manière exacte ce qu’on pourrait appeler le sens intime et philologique des textes. Rousseau, d’Alembert eux-mêmes s’essaient dans ce genre de composition ; on imprime pour la première fois de grandes collections des classiques, et l’Académie des Inscriptions et belles-lettres devient un centre actif de fortes et savantes études. En parcourant l’ancienne série des Mémoires de cette académie, on est vraiment étonné, d’une part, de la supériorité sur la série contemporaine, et de l’autre des trésors d’érudition qui s’y trouvent comme ensevelis, et qui sont oubliés de tout le monde, excepté de ceux qui vont y puiser discrètement leur science toute faite. Des hommes dont le nom est à peine connu aujourd’hui, Burigny, l’abbé Couture, Boivin, l’abbé Fragnier, Souchay, Gédoyn, l’abbé Du Resnel, ont donné dans ce recueil une foule d’excellentes

  1. Voici la phrase de Cicéron : « Postquam litteras tuas legi, Postumia tua me convenit et Servius noster. His placuit ut tu in Cumanum venires : quod etiam, ut ad te scriberem, egerunt. »