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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/585

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Saint-Louis vit éclore jusque dans les petites villes de province une foule de distiques en l’honneur des Bourbons et des lys. Encouragés par la bienveillance royale, les poètes convoquèrent au pied du trône les muses latines. En 1816, M. Barbier-Vémars fonda, sous le titre d’Hermes Romanus ou Mercure latin, un recueil périodique destiné à reproduire et à populariser d’une part des extraits de la littérature de l’antiquité, et de l’autre les compositions les plus remarquables des écrivains latins modernes morts ou vivans. Le roi et le ministre de l’intérieur souscrivirent chacun pour cent exemplaires au recueil de M. Barbier. Quand celui-ci fut admis à présenter son ouvrage à Louis XVIII, ce prince le félicita vivement et lui dit que son œuvre était éminemment nationale, attendu « qu’il n’y a que ceux qui savent bien le latin qui sachent bien le français. » Le public souscrivit comme le roi, et l’Hermes parut à jour fixe pendant six ans consécutifs, carrière bien longue pour un recueil littéraire écrit dans une langue morte, si on la compare à celle qu’ont fournie beaucoup de revues tentées de notre temps.

Chaque numéro de l’Hermes est divisé en trois parties distinctes : la première, sous le nom d’Alvear poeticum, la Ruche poétique, contient des vers latins de toutes les époques, y compris la restauration, et dans chaque numéro on trouve, comme dans les almanachs, une énigme, un logogriphe et une charade latine ; la seconde partie renferme des extraits, et la troisième, sous le nom de Noctes Jabulosæ, Veillées amusantes, se compose d’anecdotes et de bons mots. Chaque cahier offre en outre au lecteur la traduction en prose ou en vers de quelque morceau célèbre d’un prosateur ou d’un poète français, et l’on y trouve même parfois de véritables feuilletons de critique d’art ou de littérature, entre autres des comptes-rendus latins des expositions du Louvre. Les poètes de l’Hermes appartiennent tous à l’école de Delille, et ils s’exercent de préférence dans la description. Leurs sujets sont aimables et honnêtes, nugæ graciles, et cette littérature rétrospective forme un singulier contraste avec les fiévreuses compositions romantiques qui devaient bientôt la détrôner. M. Bignan célèbre les montagnes russes ; M. Billecocq chante la rosière de Suresnes ; M. le docteur Godefroy compose un poème hygiénique sur les boissons, l’eau, l’eau-de-vie, le vin, le cidre, la bière et le café ; d’autres font pleurer la plaintive élégie sur l’accident terrible arrivé à un soldat de la garde royale qui, étant descendu dans la fosse aux ours du Jardin-des-Plantes pour y ramasser un bouton qu’il avait pris pour une pièce de monnaie, fut dévoré par Martin ; d’autres encore déplorent en hexamètres attristés l’imprévoyance d’un moineau qui avait fait son nid dans un tuyau de poêle. Les vers macaroniques ne sont point oubliés, et le premier jour de l’année 1819, l’Hermes donna pour étrennes à ses abonnés un morceau philosophique qui commence ainsi :


Ecce iterum in nihilum fugiens degringolat annus.
Approchat ecce alter ; sic annus duriter annum
Culbutat ; heu ! miseri sic nos passabimus omnes.


Les poètes de province fournirent un nombreux contingent à la rédaction de l’Hermès. Quelques dames adressèrent même des lettres latines à M. Barbier pour prouver au public que les femmes, tout aussi bien que leurs tyrans,