Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/609

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la guerre ou plutôt ministre universel, et tout cela se dénouait, provisoirement du moins, par un appel adressé au duc de la Victoire, pour se rendre à Madrid et avoir à composer un nouveau gouvernement. Voilà où les choses en sont venues rapidement au-delà des Pyrénées !

Or qu’on observe la situation où les derniers événemens ont laissé un moment Madrid et l’Espagne. L’autorité de la reine n’était plus évidemment que nominale, elle n’était rien, elle s’arrêtait aux portes du palais où Isabelle a vécu quelques jours enfermée sous la garde de deux mille hommes de troupes fidèles. Quant à son nom, il n’était pas même invoqué dans les actes du gouvernement. Le général San-Miguel, ministre universel, a eu à prodiguer une vieillesse honorable en efforts impuissans ; il multipliait les proclamations et les bandos pour faire face à ce désordre immense d’une ville où nulle autorité reconnue n’existait, et qui passait son temps à se hérisser chaque jour de nouvelles barricades. La junte gouvernait en souveraine ; elle a rétabli la municipalité de 1843, elle a destitué tous les employés, ce qui fait que les administrations publiques sont à peu près fermées ; elle a décrété que tous les jours qui s’écouleraient à partir du 17 juillet jusqu’à la formation d’un ministère par Espartero et deux semaines après seraient fériés ; elle crée même des décorations. C’est là un spécimen de ce gouvernement, et là n’est pas cependant encore tout le danger. La vérité est que cette junte qui se réunit chez M. Sevillano, et qui est relativement modérée, allait sans doute beaucoup plus loin qu’elle ne l’eût voulu, parce qu’à côté d’elle il s’est formé dans les faubourgs de Madrid, à la place de la Cebada, une autre junte toute républicaine, tendant sans cesse à pousser plus loin le mouvement. D’un autre côté, c’est le 20 juillet que le duc de la Victoire a reçu à Saragosse l’ordre de se rendre à Madrid, et quelque pressantes que fussent les circonstances, on peut voir qu’il n’a pas montré un grand empressement. Espartero s’est contenté d’abord d’envoyer un de ses aides de camp à peu près comme un plénipotentiaire auprès de la reine, pour lui poser ses conditions. Ces conditions, on ne les connaît que vaguement ; l’une d’elles paraît être seulement l’exclusion de toutes les personnes attachées au palais. C’est après l’acceptation de ces conditions par la reine qu’Espartero s’est dirigé sur Madrid, où il est arrivé maintenant. Enfin, on le remarquera, le pronunciamiento de Madrid a eu pour effet de rejeter quelque peu dans l’ombre les principaux chefs de l’insurrection du 28 juin et les événemens du midi de l’Espagne. Or est-ce de l’aveu d’O’Donnell qu’Espartero se trouve avoir le premier rang dans le dénouement de l’insurrection ? C’est un point qui reste à éclaircir, et la question est d’autant plus grave, que le général O’Donnell doit se trouver aujourd’hui à la tête d’une force militaire considérable. Les précédens d’antipathie ne manquent pas, on le sait, entre Espartero et O’Donnell. C’est ce dernier qui, en 1841, à Pampelune, donnait le signal des soulèvemens qui n’aboutirent qu’en 1843. C’est le général Serrano, autre chef du dernier mouvement, qui, après avoir été ministre du régent, devenait ministre de l’insurrection contre lui. Nous ne parlons pas même du général Narvaez, dont le nom n’a pas été prononcé encore. Qu’on résume ces divers élémens, et on conviendra qu’en fait d’obscurité et d’incertitude la Péninsule n’a rien à envier.