C’est lord John Russell qui, en demandant à la chambre des communes un crédit de 3 millions sterling pour la continuation de la guerre, a présenté l’exposé de la politique du cabinet. Le discours de lord John Russell a porté sur les trois points les plus intéressans et les plus critiques de la situation actuelle, — la réponse faite par l’empereur de Russie à la sommation de l’Autriche, — les conditions sans lesquelles la France et l’Angleterre ne regardent point la paix comme possible avec la Russie, — la coopération de l’Autriche dans la guerre soutenue par les puissances occidentales.
L’empereur de Russie a déjà laissé échapper bien des occasions qui lui ont été offertes de sortir du mauvais pas où il s’est si témérairement engagé, et de se soustraire aux périls dont la guerre actuelle menace son empire. L’invitation si modérée qui lui a été adressée par l’Autriche au commencement du mois de juin est le dernier expédient de ce genre que la patience de l’Europe ait pu lui présenter ; sa réponse, telle que lord John Russell l’a fait connaître, prouve que l’empereur de Russie a repoussé cette chance suprême. L’Autriche avait demandé à l’empereur Nicolas de fixer une date prochaine pour l’évacuation des principautés, et d’adhérer aux principes du protocole du 9 avril. Quant à l’évacuation, sans la refuser en principe, la Russie la subordonne à la position prise par la France et l’Angleterre dans la Mer-Noire et dans la Baltique ; quant au protocole du 9 avril, la Russie dans sa réponse feint de l’accepter en donnant son adhésion formelle à trois principes de ce protocole, l’évacuation des principautés, la stipulation des droits des chrétiens en Turquie et la garantie donnée à ces droits par un arrangement entre la Porte et les puissances européennes ; mais elle passe sous silence le plus important de ces principes, l’entrée de la Turquie dans le concert européen. Ainsi, soit pour le présent, soit pour l’avenir, pas plus pour le fait immédiat de l’évacuation des principautés que pour la condition permanente de la Turquie admise dans la solidarité collective des états européens, la Russie ne veut donner satisfaction à l’Europe. Cette réponse permettait sans doute à l’Autriche d’exécuter sur-le-champ les prévisions de sa convention du 20 avril avec la Prusse, et de son traité du 14 juin avec la Porte. Cependant, par un excès de longanimité ou plutôt sous la pression du mauvais vouloir du roi de Prusse, l’Autriche a consenti à la considérer comme évasive et à la soumettre aux cabinets de Paris et de Londres. Les deux puissances ne pouvaient faire à une communication si peu sérieuse qu’une seule réponse, c’est qu’elles n’avaient rien à répondre. La dernière tentative de l’Autriche auprès de l’empereur de Russie n’a donc eu que deux résultats : dévoiler une fois de plus et épuiser le système de ruse et d’amusement de la politique russe vis-à-vis de l’Allemagne ; poser plus nettement la cause de la guerre, qui est pour la Russie la conservation de ses relations directes et exclusives avec la Porte, pour l’Occident la nécessité d’affranchir la Turquie d’un vasselage oppressif, de rétablir l’indépendance de la Porte et de faire entrer l’empire ottoman dans le cercle des devoirs et des droits réciproques qui garantissent la sécurité des états européens.
La portion la plus significative du discours de lord John Russell a été celle où le ministre anglais a précisé le but de la guerre, en définissant les conditions sans lesquelles la paix n’est plus possible entre la Russie et les puis-