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contraires que nous venons de signaler. En effet, par les mystères et les miracles l’art dramatique s’inspire exclusivement des souvenirs et de l’histoire du christianisme ; en plaçant sous les yeux du spectateur les héros et les martyrs de la foi, il cherche bien moins à l’amuser qu’à l’instruire et à l’édifier par de grands exemples. Il lui montre le ciel et l’enfer, il lui révèle tous les secrets de ce monde inconnu où la mort l’introduira plus tard, et de la sorte le drame sacré n’est pour la foule que le commentaire vivant de sa croyance. Mais pour que ce drame fût véritablement populaire, il fallait au peuple l’ardeur d’une conviction sincère ; aussi, quand le mysticisme eut replié ses ailes, quand la libre discussion eut pénétré dans les domaines jusqu’alors inaccessibles de la foi, le drame sacré vit décliner peu à peu sa puissance et son prestige. La société du moyen âge devint en vieillissant railleuse et sceptique ; elle voulut rire au lieu de s’édifier, et si elle chercha parfois à s’instruire encore par le théâtre, ce fut à l’expérience humaine plutôt qu’à la tradition religieuse qu’elle demanda des préceptes. De là cette révolution qui s’opéra au XVe siècle et au XVIe dans l’art dramatique, révolution qui remplaça les miracles et les mystères par les moralités, les farces et les sotties, c’est-à-dire l’inspiration chrétienne par l’inspiration philosophique et profane.

Les publications relatives à notre ancien théâtre ont été assez nombreuses dans ces dernières années : il y a eu même un moment d’engouement, et l’on a vu quelques érudits opposer aux chefs-d’œuvre de Racine et de Corneille les immenses compositions rimées des confrères de la Passion, comme on a quelquefois opposé à l’Iliade la Chanson de Roland ; mais le public n’a point tardé à faire justice de cette exagération. Néanmoins, tout en réduisant les compositions scéniques du moyen âge à leur juste valeur, il a gardé pour elles un vif intérêt de curiosité historique, parce qu’il y trouvait de précieuses révélations sur les mœurs, l’esprit et les tendances littéraires de la vieille société française. C’est à ce point de vue que répond la publication que vient d’entreprendre M. Viollet-le-Duc sous ce titre : Ancien Théâtre français, ou Collection des Ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les Mystères jusqu’à Corneille.

La première partie de cette curieuse collection comprend trois volumes, format elzévirien, et nous devons d’abord féliciter l’éditeur[1] de ces charmans petits livres. En les parcourant, on rajeunit de deux cents ans, et les fleurons, les lettres rouges des titres, les réglures d’un papier solide, tout rappelle les bonnes traditions de l’art typographique au XVIe et au XVIIe siècle. Quant aux compositions scéniques qui s’y trouvent réunies, on peut dire sans exagération qu’elles offrent ce que l’ancien esprit français a produit de plus vif, de plus mordant et quelquefois aussi de plus hardiment trivial dans cette veine railleuse et sceptique qui forme avec les mystères et les miracles un si bizarre contraste. Ces compositions, au nombre de soixante-quatre,

  1. M. Janet s’est appliqué à reproduire par un fac-simile exact et plein de goût le type de ces anciennes éditions à la sphère si recherchées des amateurs dans le temps, déjà bien loin de nous, où la bibliomanie était comptée parmi les joies de ce monde. M. Anatole de Montaiglon, chargé d’établir le texte, s’est bien acquitte de cette tâche difficile, et il est peu de monumens de notre vieille langue qui aient été publiés d’une manière aussi correcte.