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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/653

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féerique de l’Orient : « Tous ces noms de pays étrangers, s’écrie-t-elle, tous ces noms de nations qui ne sont presque plus européennes, réveillent singulièrement l’imagination. On se sent, en Russie, à la porte d’une autre terre… » Si tel était, au commencement de ce siècle, le prestige des noms orientaux pour une imagination rêveuse, combien plus vives devaient être sur de cupides aventuriers les séductions de cette autre terre, de cette terre inculte et féconde, de ce monde barbare et plein de trésors ! Assurément Ostermann et Biren ne savaient pas analyser si bien leurs impressions, mais cet Orient européen avait un invincible attrait pour des hommes de cette trempe. C’est là qu’étaient les émotions du jeu le plus enivrant et le plus terrible ; c’est là qu’on avait sans cesse à combiner des tragédies sanglantes, et qu’il fallait, seulement pour éviter l’échafaud, mettre la main sur le trône. Le jour où le fils du pasteur westphalien et le fils du palefrenier courlandais faisaient écarteler ces puissans Dolgorouki issus du sang même de Rurik, ils éprouvaient une de ces acres jouissances qui enchaînent à jamais l’ambitieux au sol du despotisme et le tuent comme un poison.

Le maréchal de Munich, quelque distance qui le sépare d’Ostermann et de Biren, avait pris part plus d’une fois à cette politique sans pitié. Munich ne venait pas précisément de l’Allemagne, mais il appartenait à la race germanique, étant le fils d’un officier danois, et par sa position dans l’empire, comme par ses origines nationales, il représentait, au même titre que le Westphalien Ostermann et le Courlandais Biren, ce qu’on avait raison d’appeler le parti des Allemands. Excellent homme de guerre, intrépide soldat et général consommé, il justifiait sans doute par l’éclat du génie cette fortune extraordinaire qu’Ostermann devait surtout à la ruse et Biren à l’intrigue ; il n’en avait pas moins tous les traits de caractère qui distinguent l’aventurier, une audace à qui tous les moyens étaient bons, un flair subtil et pénétrant pour suivre les traces de la fortune, un égoïsme altier qui a fait à quelques biographes l’illusion de la grandeur. M. Wilhelm Stricker, dans ses curieuses études, tout en repoussant avec horreur l’atroce conduite des aventuriers, n’est pas fâché de raconter leur victoire, et quand il nous peint, ce sont ses expressions, — le triumvirat germanique en Russie, — il laisse percer çà et là une joie singulièrement naïve. Qu’ont-ils fait cependant ? Le maréchal de Munich avait beau porter une haine implacable au parti moscovite : il a travaillé plus que personne aux usurpations de la Russie ; après les noms de Pierre le Grand et de Catherine II, le nom de Munich doit briller en première ligne parmi ceux qui ont donné aux tsars un ascendant immense sur la politique de l’Europe. Lorsque Catherine II commençait à démembrer l’empire turc, Munich