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a mis fin à tout cela. Il y a certes, à l’heure qu’il est, bien des Allemands en Russie, il y en a, il y en aura longtemps encore dans tous les postes importans de l’administration ; ce ne sont toutefois que des individus isolés, le parti allemand n’existe plus.

On voit dans l’almanach impérial de 1837 que, sur les six cents dignitaires supérieurs de l’empire, cent trente étaient Allemands. « Si ces Allemands n’étaient pas des caractères si souples, s’écrie douloureusement M. Wilhem Stricker, s’ils n’étaient pas toujours si disposés à penser en russe et à parler en français, s’ils n’étaient si indifférens aux intérêts de leur patrie et si oublieux de leur nationalité, on pourrait dire que les idées allemandes sont maîtresses de ce pays. Figurez-vous ce que deviendrait l’empire russe avec cent trente dignitaires anglais ! » Ces plaintes du publiciste donnent le vrai tableau de la situation. Pierre le Grand et ses successeurs voulaient accoutumer les Russes à voir les étrangers établis au même titre qu’eux dans l’empire ; le résultat est atteint. Les Dolgorouki, qu’Ostermann et Biren faisaient écarteler il y a cent ans, servent aujourd’hui dans la diplomatie ou dans l’armée à côté des descendais de Biren et d’Ostermann. On peut bien signaler deux directions opposées, deux esprits différens, qui se manifestent en maintes rencontres et qui semblent conserver la trace des anciennes luttes ; l’esprit allemand, représenté aujourd’hui par M. de Nesselrode, est plus humain, plus modéré, plus circonspect ; l’esprit moscovite est animé d’une fiévreuse impatience, et c’est lui qui pousse souvent les tsars à des entreprises insensées. Encore une fois, ce sont là deux politiques différentes, ce ne sont plus deux partis fondés sur l’opposition des races. Il y a des Russes dans ce qu’on appelle aujourd’hui le parti allemand, comme il y a plus d’un Allemand dans le parti moscovite.


V

Le seul point où l’influence allemande se soit conservée, c’est loin de la cour, loin de la scène politique et du théâtre des événemens. Après les chevaliers de Livonie et les marchands de la hanse, qui luttèrent au nom de l’Allemagne pendant toute la période du moyen âge, nous avons vu les brillans aventuriers du monde moderne ne chercher en Russie que leur intérêt propre, et consacrer leurs talens, leurs lumières, leur ardent égoïsme, à la fortune des tsars. Il ne reste, pour compléter ce tableau, qu’à signaler le rôle des populations agricoles. Il y a sur les bords du Volga, dans les anciennes provinces turques, en Bessarabie, en Crimée, plus loin encore, au sud et au nord du Caucase, bien des colonies de paysans prussiens ou souabes qui gardent fidèlement leur religion et leurs coutumes. Si