Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était encore l’esprit allemand qui dominait là ; les principaux mémoires étaient publiés en français et surtout en allemand. Une académie exclusivement russe s’est formée à côté de l’académie impériale ; elle a obtenu récemment d’être fondue avec sa rivale, et maintenant elle travaille chaque jour à y étouffer tout ce qui ne relève pas de ses doctrines. Un fait bien triste à signaler et que nous avons rencontré sans cesse dans cette histoire, c’est que les chefs de la réaction moscovite ont toujours eu des Allemands pour auxiliaires. C’est un Allemand qui est le plus fougueux compagnon du pope Michailof dans sa croisade contre les luthériens de Livonie et de Courlande ; ce sont des professeurs et des écrivains allemands, à Dorpat, à Mitau, à Saint-Pétersbourg, qui combattent avec le plus de zèle pour la suprématie absolue de l’esprit russe. Est-ce frayeur ? est-ce sentiment de l’influence qui leur échappe, et désir de la reconquérir plus sûrement sur un terrain nouveau ? Ce qu’il y a de certain, c’est que ces représentans de l’esprit germanique ont presque tous renoncé par égoïsme à la mission que l’histoire semblait leur imposer. Ils font aujourd’hui sur le théâtre de l’esprit ce que faisaient, il y a un siècle, sur le théâtre de l’action, les Ostermann et les Biren. La servitude les attire comme les Romains de Tacite : At Romoe ruere in senritium consules, patres, équites ; quanto quis illustrior, tanto magis falsi ac festinantes.

Voilà donc le terme de cette histoire ; la Russie attire à elle les ressources et les hommes de l’Allemagne, et après avoir absorbé tous ces élémens, elle est occupée en ce moment même à en détruire les derniers vestiges. Un voyageur célèbre, M. Koch, qui a très bien décrit les progrès de l’esprit russe en Esthonie, en Livonie et en Courlande, s’écrie tout à coup avec une candeur singulière : « Ce serait le devoir de la Russie, dans l’intérêt même de sa prospérité, de protéger les provinces allemandes contre les passions moscovites. N’est-ce pas aux Allemands qu’elle doit tout ? Et ne devrait-elle pas considérer comme un avantage inappréciable de posséder ainsi un morceau de l’Allemagne qui peut continuer à être pour elle une pépinière d’hommes utiles et de fidèles sujets ? Si cette réaction violente ne s’arrête pas, si les Allemands sont traités sur le même pied que les Tartares et les Tonguses, la source des grands capitaines et des grands hommes d’état, la source des savans illustres et des bons citoyens sera bientôt tarie. » Certes, une telle sollicitude a de quoi nous surprendre après le tableau que nous venons de tracer. Si j’étais Allemand comme l’écrivain à qui j’emprunte ces paroles, j’aimerais mieux voir disparaître de la scène ces représentans infidèles qui ont si mal défendu l’esprit de la civilisation germanique, ou qui ne l’ont employée qu’au profit de la politique russe. L’Allemagne a joué trop longtemps ce