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que la déférence, la longue habitude et je ne sais quelle vanité féodale rendent si propice aux vœux de Saint-Pétersbourg, on ne songe plus à accuser les lenteurs de l’Autriche, on admire plutôt la loyale et persévérante résolution du jeune empereur François-Joseph.


VII

Ce n’était pas assez pour la Russie d’établir son influence au sein des familles souveraines, il fallait aussi s’emparer de l’opinion. Il est manifeste qu’il y a depuis 1815 une presse russe en Allemagne. Est-ce une presse qui avoue hautement ses desseins ? Non, certes. La Russie est trop habile pour décréditer ses organes ; il lui suffit que ses agens mettent à profit la complaisance ou entretiennent l’aveuglement de certains journaux. Les complaisans de la presse allemande, nous avons regret à le dire, ne sont pas moins nombreux que les aveugles. Il y a surtout une tactique souvent employée depuis 1830 et qui se renouvelle aujourd’hui sous nos yeux : on publie dans un journal de Souabe, de Hanovre ou de Bavière un article de haute philosophie historique, où l’on démontre sans passion, avec le calme désintéressé de la science, que la Russie est appelée par les lois providentielles à la régénération de la vieille Europe. Ce n’est pas un écrivain russe qui parle, ce n’est pas un Kotzebue stipendié qui insulte son pays, c’est l’étude impartiale qui promulgue les arrêts d’en haut. Le lendemain, le même journal public une réfutation de son article de la veille, réfutation d’une valeur dialectique médiocre, mais animée d’une confiance assez vive dans les destinées de l’Allemagne. L’honneur du journal est sauf ; qu’importent cependant ces précautions perfides ? Les décisions de la philosophie de l’histoire ont produit leur effet chez ce peuple contemplatif, et plus d’un esprit se console de la déchéance inévitable de sa patrie en remarquant avec quelle supériorité la science allemande explique les décrets éternels. C’est le roseau de Pascal défiant l’univers qui l’écrase. Que de fois n’a-t-on pas lu de tels articles dans la Gazette de Hanovre, dans le Journal de Francfort, et dans le Mercure de Souabe ! Le Portfolio ce curieux recueil anglais publié en 1835, et qui s’appliquait surtout à démasquer en Europe et en Asie les perfidies de la politique russe, n’a eu que trop souvent l’occasion de dénoncer ces ruses de l’esprit moscovite et la connivence coupable de quelques feuilles allemandes. La Gazette d’Augsbourg, organe important à coup sûr des affaires publiques de l’Allemagne, se prêtait plus facilement qu’un autre à ces menées souterraines. Rédigé par des plumes très différentes, espèce de magazine ouvert à des documens de toute nature, ce journal croyait avoir assez fait pour le patriotisme, si les intérêts de l’Allemagne étaient défendus ça et là dans ses colonnes avec une gravité