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assez rude : « Pensez-vous que je vous le donne, quand je le lui ai refusé ? — Alors, monsieur, répliqua Herbert, je vous le ferai restituer de force. » Et mettant son chapeau, il voulut enlever à l’autre le sien, mais le Français se mit à courir, et après qu’ils se furent assez longtemps poursuivis dans la prairie, il tourna court pour ne pas être pris, et rejoignant Mlle de Ventadour, il lui remit le ruban dans les mains. Herbert, le saisissant par le bras, dit à la jeune dame que c’était lui qui le lui rendait. « Pardon, monsieur, répondit-elle, mais c’est bien ce gentilhomme qui me le donne. — Madame, dit-il, je ne vous contredirai pas ; mais s’il ose prétendre que je ne l’ai pas forcé à le rendre, je me battrai avec lui. » Ces paroles restèrent sans réponse dans le moment, et l’on reconduisit la dame au château. Là, Herbert fit notifier par Townsend son dilemme de provocation ; mais le cavalier, n’étant pas d’humeur d’y répondre, se retira, et l’Anglais se disposait à le suivre, quand le connétable, informé à temps, fit rappeler le Français, lui reprocha d’avoir manqué de respect à sa petite-fille, et lui ordonna de quitter sa maison. Herbert dit qu’il n’entendit plus parler de lui, mais il ajoute que toute sa conduite lui était commandée par son serment de chevalier du Bain. Trois autres fois encore, dans ce voyage, il se crut obligé d’appeler en duel des malappris qui avaient offensé les dames. Il raconte en détail ces trois rencontres, mais dans aucune le combat n’eut lieu. Il paraît que l’autorité intervint pour l’empêcher, ou que des amis ne pensèrent pas qu’une exécution aussi littérale et aussi gratuite du serment de chevalerie fût dans les devoirs absolus du point d’honneur. Notre philosophe d’épée au contraire dit qu’il entendait d’une manière plus stricte ses engagemens, et prend grand soin d’affirmer qu’ayant vécu dans les cours et dans les armées, il était le moins querelleur des hommes et n’a jamais dégainé sans y être provoqué.

Il fait d’ailleurs la plus belle peinture de la magnifique hospitalité du connétable. En partant pour Chantilly, Montmorency le pria de rester à Mello, comme il le désirait, et lui laissa ses écuyers, ses pages et tout un train de maison. Herbert habita tout un été dans ce beau séjour, où il se perfectionna dans la science du cheval, sous la direction du gouverneur des pages du connétable, M. de Mennon, et de son premier écuyer, M. de Disancourt, qu’il proclame l’égal de l’luvinel et de Labroue[1]. Il apprit d’eux, contre ses principes,

  1. Montmorency, comme grand seigneur et plus encore comme connétable, comes stabuli, comte de l’écurie, devait avoir la haute main sur tout ce qui regardait l’équitation militaire, laquelle avait composé longtemps presque toute l’éducation des gens de guerre. Antoine de Pluvinel, gentilhomme dauphinois qui s’était formé à Naples sous Pignatelli, avait été premier écuyer de Henri III, et il dirigeait les grandes écuries de Henri IV, qui le fit sous-gouverneur du dauphin et même ambassadeur eu Hollande. Il mourut en 1620, laissant un ouvrage encore estimé, le Manège royal, publié par René de Menou, celui probablement que lord Hubert nomme Mennon. La meilleure édition est de 1625. Salomon de La Broue est aussi un écuyer habile que Bourgelat appelle une illustre et malheureuse victime de l’honneur, parce qu’il mourut dans l’indigence. Pluvinel passe pour le fondateur de ce qu’on nommait autrefois les académies.