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volontiers les citations : il emprunte au Moniteur des discours presque entiers, et ne se croit pas obligé de marquer les différens momens de la discussion. À proprement parler, il s’abstient de raconter et de juger ; aussi, dans son livre, le règne de Louis XVIII semble très incomplet, malgré les développemens considérables qu’il a reçus. Le lecteur ne voit pas la marche de l’esprit public ; or que signifie l’histoire du gouvernement représentatif, si l’esprit public ne se révèle pas avec éclat toutes les fois que s’engage un débat important ? La mission de l’historien, telle que l’a comprise M. de Lamartine, est singulièrement simplifiée. Pour l’accomplissement de cette mission, le travail de la pensée devient à peu près inutile ; il suffit d’avoir le Moniteur sous la main.

Cependant je serais injuste envers l’auteur si je laissais croire qu’il s’en est tenu aux documens officiels : il enregistre avec empressement un grand nombre de faits qui n’ont laissé aucune trace dans le Moniteur, et qui appartiennent à l’histoire anecdotique de la restauration. Peut-être serait-on en droit de lui reprocher sa prédilection pour ce genre de documens. Je ne crois pas qu’il faille les bannir de l’histoire, mais il faut du moins en user avec discrétion, et M. de Lamartine en use trop largement. Il parle avec admiration du talent politique de M. de Villèle. Sans partager son enthousiasme, je reconnais dans ce ministre une aptitude incontestable pour le maniement des affaires ; mais l’estime que j’ai conçue pour son intelligence s’amoindrit nécessairement, quand je le vois chaque jour se résigner à consulter Mme du Cayla avant de travailler avec le roi. On me répondra que Mme du Cayla lui révélait fidèlement les prétentions des émigrés, et lui donnait ainsi des armes pour les combattre. Je ne conteste pas la valeur d’un tel argument, je ne le crois pourtant pas sans réplique. Si c’est là de l’habileté, à coup sûr ce n’est pas de la dignité. Que dans un gouvernement absolu le premier ministre consulte chaque jour la maîtresse du roi, rien de mieux, ou du moins rien de plus naturel : c’est pour lui la seule manière de dominer celui qu’il appelle son maître, mais dans un gouvernement représentatif, je ne pense pas qu’il soit obligé de subir cette dure condition. Louis XVIII, égoïste et hautain, comprenait son temps beaucoup mieux que son frère et ses neveux, ce qui n’est pas d’ailleurs faire de lui un grand éloge. Puisque M. de Villèle avait su se rendre nécessaire, Louis XVIII n’eût pas refusé d’accueillir et de suivre ses conseils, lors même que ces conseils n’eussent pas subi le contrôle de Mme du Cayla : il sentait trop bien le danger des partis extrêmes pour se laisser conduire par le comte d’Artois. Pourquoi donc M. de Villèle, dont M. de Lamartine exalte si souvent les services, dont il fait presque un homme