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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/832

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charte au lieu de l’accepter des mains de la nation, ne pouvait, sans manquer à sa parole, fausser ou briser les rouages du gouvernement représentatif. Si l’égoïsme et la prudence l’ont retenu presque toujours dans les limites de la légalité, il n’est pourtant pas à l’abri de tout reproche : les cours prévotales, les massacres de Nîmes et d’Avignon sont des crimes dont le souvenir ne s’effacera jamais. Ces crimes, M. de Lamartine les condamne, mais il ne s’y arrête pas assez longtemps ; il semble trop pressé de revenir aux hommes et aux choses de la cour ; il détourne ses yeux du sang versé, et se remet à nous raconter la vie privée des personnages qui sont en scène. Sans les doctrines de 89, l’histoire de la restauration ne présente aucun intérêt sérieux. Maudites par l’émigration, qui ne pouvait les comprendre, elles ont servi de point de ralliement à tous les défenseurs des libertés publiques, et pourtant M. de Lamartine, en nous racontant le règne de Louis XVIII, évoque bien rarement le souvenir de 89.

Est-ce dédain pour l’assemblée constituante ? Je suis loin de le croire. J’incline à penser qu’il faut chercher dans la vie même de M. de Lamartine l’origine de l’oubli où il paraît la laisser. Quand les Bourbons perdirent le royaume de France, l’auteur était déjà parvenu à la maturité de l’âge, sans atteindre à la maturité politique. Sans approuver les ordonnances qui ont perdu la dynastie, il avait partagé, il gardait encore bien des illusions. Plus tard, lorsqu’il eut abordé la tribune, il défendit avec sincérité ces illusions, qu’il devait combattre plus tard. Il a commencé par plaider, sous la monarchie de juillet, la cause de la restauration. En écrivant l’histoire de Louis XVIII, il a repris à son insu la plupart des sentimens dont il était animé avant la chute des Bourbons ; il aime trop le temps qu’il essaie de retracer pour le juger en toute équité. Les croyances qui ont dicté ses derniers discours ne s’accordent guère avec ses premiers sentimens ; il ne s’en aperçoit pas, et garde pour la restauration l’indulgence de sa jeunesse. Je ne veux pas dire qu’il méconnaisse absolument la vérité, ce serait aller trop loin ; il la laisse entrevoir et n’ose pas la montrer tout entière : c’est une considération dont l’histoire ne saurait s’accommoder. Pour juger les événemens accomplis sous nos yeux, il faut, dans la mesure de nos forces, nous dépouiller de nos sympathies. M. de Lamartine s’est mis à revivre par la pensée les années de sa jeunesse, et n’a pas su condamner sévèrement, au nom de ses dernières croyances, les hommes et les choses qu’il avait aimés avant de se mêler aux luttes parlementaires. Ce retour vers la première partie de sa vie lui sera facilement pardonné par le grand nombre des lecteurs ; pour moi, je crois utile de le condamner, parce qu’il ne s’accorde pas avec les devoirs de