elles n’ont rien appris, rien oublié. Toute leur conduite repose sur une erreur radicale : elles croient pouvoir recommencer le passé, et le jour où elles reconnaissent qu’elles se sont trompées, il est trop tard pour revenir sur leurs pas. Telle est la pensée que j’aurais désiré voir se développer comme épilogue du récit. En second lieu, je suis bien forcé de signaler dans cette histoire l’absence complète d’austérité. Il est triste de voir l’histoire, ainsi réduite aux proportions du roman : on a dit et on a eu raison de dire que l’histoire est l’école des peuples et des rois ; mais pour que les peuples et les rois recueillent dans le tableau du passé des leçons fécondes, il faut que l’historien renonce au désir d’amuser le lecteur. Or ce désir éclate à chaque page dans le livre de M. de Lamartine. L’auteur prodigue en toute occasion les anecdotes, les détails biographiques, et il oublie de caractériser les événemens.
Consultez les lecteurs de bonne foi, demandez-leur quel profit ils ont tiré de ce long récit ; ils avoueront qu’ils n’ont pas appris grand’chose : au lieu de s’instruire, ils se sont amusés. Combattre la popularité de pareils livres semble peine perdue, car la foule s’empresse de les dévorer, sans tenir aucun compte des remontrances. Cependant il ne faut pas se lasser de les condamner, car la cause de la vérité finit tôt ou tard par triompher. Les plus complaisans nous accuseront peut-être de faire la moue à notre plaisir ; nous les laisserons dire, et nous attendrons sans inquiétude l’action du temps. Dans dix ans, qui donc se souviendra de l’Histoire de la Restauration ? Il faudra s’adresser aux bibliographes pour en avoir des nouvelles. Loin de moi toute pensée amère : je ne voudrais pas blesser un écrivain dont le nom occupe dans notre littérature un rang si glorieux ; mais je suis bien forcé de lui dire qu’il s’est complètement mépris sur la nature du travail qu’il avait abordé. Pour le mener à bonne fin, il était indispensable de sacrifier les anecdotes à la politique intérieure, à la diplomatie. Or M. de Lamartine a reculé devant la difficulté de sa tâche, et tous ceux qui portent à son talent une affection sincère doivent avoir le courage de l’avertir. Le double succès qu’il a obtenu avec l’Histoire des Girondins et l’Histoire de la Restauration ne ferme pas nos yeux à l’évidence. Les applaudissemens qu’il recueille ne viennent pas des vrais juges, et ces derniers finiront toujours par avoir raison.
Je ne crois pas que les hommes voués aux études historiques m’accusent d’un excès de sévérité. J’ai loué dans l’Histoire de la Restauration ce qui méritait d’être loué, — l’histoire des cent jours. Si dans le règne de Louis XVIII ou de Charles X j’avais rencontré des pages d’une égale valeur, je n’aurais pas négligé de les signaler.