que la Russie eût fait aussi entrer dans ses calculs de fournir un nouvel aliment aux tergiversations du cabinet de Berlin. La Prusse joue en vérité un rôle singulier depuis quelque temps. Elle craint d’avouer ses préférences, elle n’ose professer une politique, elle se réfugie dans les négociations secrètes et les expéditions de courriers. Ses diplomates vont de Berlin à Vienne, de Vienne à Saint-Pétersbourg ; elle mêle ses incertitudes à tous les conseils. Et à quoi arrive-t-elle ? Elle devient en quelque sorte étrangère à l’une des plus grandes affaires de ce siècle ; elle arrive à être une puissance peu consultée, peu écoutée, de telle sorte qu’avec la passion des arrangemens et des médiations, le roi Frédéric-Guillaume a pris la route qui conduit tout droit aux interventions sans crédit et aux conseils sans efficacité. C’est ainsi qu’une puissance de premier ordre passe au second rang. Jusqu’ici, la Prusse s’est contentée de signer des protocoles en refusant d’appuyer ses paroles d’aucun acte sérieux, et en embarrassant même ceux qui voulaient agir. Si elle trouve bon de rester neutre dans une guerre où se débat un intérêt général, comment espérerait-elle être écoutée dans les négociations qui viendront après la lutte ? La première condition de l’autorité pour un cabinet, c’est que tout le monde sache que chacune de ses paroles a une sanction. C’est d’ailleurs une grande question de savoir si l’Autriche elle-même ne se décidera point à agir en dehors de la Prusse. L’échange de notes du 8 août est peut-être un premier symptôme de ces dispositions. Tel est donc l’état réel des choses en ce moment. L’évacuation des principautés ne saurait être considérée que comme un incident d’une certaine gravité sans doute, mais qui ne change rien à la situation respective des puissances belligérantes. C’est sur un autre terrain que les véritables conditions de la paix restent à débattre, et c’est là l’œuvre des armées qui poursuivent leurs opérations sur leur double théâtre en Orient et dans la Baltique.
Il y a sans doute des impatiences de l’opinion très compréhensibles à l’égard des opérations militaires, et d’un autre côté la guerre ne peut toujours marcher au gré de toutes les impatiences, aujourd’hui cependant nous touchons peut-être au moment où peuvent se produire des événemens sérieux. Dans la Mer-Noire, une expédition combinée des armées de terre et de mer semble devoir être dirigée vers les côtes de Sébastopol. Dans la Baltique, l’arrivée du corps expéditionnaire français a déterminé l’attaque d’Aland, qui a eu lieu, dit-on, avec succès. Sur ces deux points, le drapeau des armées alliées ira attendre la conclusion de la paix future. Ce seront les premiers actes décisifs de la guerre. Quelque peu nombreux qu’ils soient encore, il ne faut pas cependant s’y méprendre, ainsi que le disait lord Clarendon avant la clôture du parlement anglais, qui vient d’avoir lieu. Il y a six mois que les hostilités sont ouvertes, et dans cet intervalle une armée considérable a dû être transportée en Orient, où elle est aujourd’hui en mesure d’agir ; un corps expéditionnaire est dans la Baltique, et nos flottes occupent les mers fermées aux escadres russes. L’alliance de la France et de l’Angleterre a été resserrée, l’insurrection grecque a été vaincue, l’Autriche a disposé ses forces et réalisé un emprunt qui assure ses ressources financières ; enfin la Russie s’est vue obligée d’abandonner les principautés danubiennes. Ce sont là des résultats qui ne sont point certes sans valeur et sans signi-