Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/851

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cabinet de Washington était loin de maintenir ses prétentions premières. On avait d’abord réclamé à Madrid la révocation des autorités supérieures de Cuba et une indemnité considérable pour le navire lésé, ce qui avait été péremptoirement refusé. Dans ces derniers temps, le gouvernement du général Pierce en était revenu à une appréciation beaucoup plus modérée de cet incident. Il demandait simplement qu’on lui démontrai que le Black-Warrior avait véritablement enfreint les règlemens de douane. Cette preuve faite, la question n’existait plus ; mais tandis que le cabinet de Washington se modérait, l’opinion publique s’exaltait au contraire. De toutes parts naissaient les projets d’invasion. Des enrolemens se faisaient publiquement, des sommes considérables étaient souscrites, et les approvisionnemens d’armes se poursuivaient, si bien que le général Pierce finissait par être obligé de publier une proclamation nouvelle pour empêcher les expéditions projetées. Depuis, ces tentatives n’ont fait que prendre un caractère plus sérieux. Du reste, le capitaine-général de Cuba avait fait à son tour ses préparatifs. C’est dans ces circonstances que sont survenus les derniers événemens d’Espagne, et aujourd’hui le capitaine-général de Cuba, le marquis de Pezuela, vient d’être remplacé par le général José de la Coucha. La question est de savoir si la dernière révolution espagnole ne sera pas un motif de plus pour les aventuriers américains de poursuivre leur entreprise.

Voici déjà quelques jours que l’Égypte a vu s’opérer une modification grave dans sa situation. Le pouvoir vient de changer de mains par suite de la mort du vice-roi, Abbas-Pacha. Le successeur de ce dernier est Saïd-Pacha. L’hérédité en Orient, on le sait, n’a point les mêmes règles que dans l’Occident. Saïd-Pacha n’hérite pas de la vice-royauté d’après le droit admis en Europe, mais parce qu’il est le plus âgé des membres de sa famille ; il est le quatrième fils de Méhémet-Ali. C’est en vertu des mêmes règles qu’Abbas-Pacha avait déjà reçu l’autorité à son avènement, bien qu’il ne fût que l’aîné des enfans du second fils de Méhémet-Ali, et qu’il existât des enfans d’Ibrahim-Pacha. Ce droit a du reste été consacré par la loi de constitution du pachalik héréditaire de l’Égypte. On se souvient encore de la renommée, de la popularité, dirons-nous, que s’était acquise Méhémet-Ali par les réformes qu’il avait accomplies en Égypte. Il était parvenu à jouer un grand rôle dans la politique européenne par l’incontestable génie qu’il avait montré dans sa longue vie. Il avait transformé l’Égypte en demandant à l’Europe les ressources de son industrie et de sa science. Si quelque chose cependant peut révéler ce qu’il y avait de violent, d’artificiel, de purement personnel en quelque sorte dans les réformes du vieil Arnaute, c’est ce qui est arrivé à sa mort. Méhémet-Ali soutenait cet édifice d’une main de fer. Quand il a disparu, il n’est plus rien resté. Au lieu de continuer son œuvre, son successeur s’est appliqué à la détruire, allant même jusqu’à persécuter souvent les hommes qui avaient servi son grand-père de l’héritage de Méhémet-Ali, Abbas-Pacha n’avait accepté que le despotisme sans limites. Il ne savait pas se servir de ce terrible moyen dans une pensée utile. Plein de vices et de caprices bizarres, il semblait se complaire dans la solitude qu’il se créait, ne s’occupant pas d’ailleurs des affaires de l’état qu’il avait à gouverner. En définitive, il est mort misérablement au Caire, après un règne qui laisse peu de souvenirs