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scène ne tardèrent point à se répandre dans toute la ville, et le général gouverneur crut devoir les communiquer à l’empereur. Celui-ci lui ordonna de former une autre commission et d’instruire séparément la cause des incendiaires qui se disaient innocens. Quelques mois après, je lus dans les journaux que l’empereur, voulant indemniser les paysans qui avaient été punis injustement comme incendiaires, leur accordait. 200 roubles pour chaque coup de knout qu’ils avaient reçu[1] et un passeport particulier constatant leur innocence, mesure d’autant plus nécessaire qu’ils avaient été marqués. Le paysan qui avait pris la parole au moment du supplice fut compris dans cette réhabilitation.

« Les incendies qui eurent lieu en 1834 à Moscou et dix ans après dans quelques provinces n’ont jamais été expliqués. Que la malveillance n’y soit point restée étrangère, cela est incontestable ; le feu, « le coq rouge, » comme disent les gens du peuple, est en Russie un moyen de vengeance tout à fait national. On entend rapporter continuellement que des maisons seigneuriales ou quelques-unes de leurs dépendances ont été consumées par les flammes ; mais personne n’a jamais su, et les membres de la commission ont su moins que tout autre, les motifs de ces désastres. »

Pendant la double instruction poursuivie contre les étudians et les incendiaires, l’empereur arriva à Moscou, et son arrivée marqua une nouvelle phase dans la marche de ces deux affaires. Nous ne nous occuperons plus que de celle des étudians. Le commandant Stahl, vieux général d’un courage éprouvé, jugeait que la cause de M. Hertzen et de ses amis était tout à fait distincte de celle des étudians prévenus de chants séditieux. Il n’était point parvenu cependant à faire partager son opinion à ses collègues et refusait de siéger dans la commission. L’empereur, à son arrivée à Moscou, lui demanda l’explication de ce refus, que le général lui donna avec une franchise toute militaire. — Quelle sottise ! lui dit le tsar. Te brouiller pour cela avec tes collègues ! N’en as-tu pas de honte ? J’espère bien que tu vas reprendre tes fonctions. — Sire, reprit Stahl, épargnez, mes cheveux blancs : dans cette circonstance, il s’agit de mon honneur. — l’empereur fronça les sourcils, mais Stahl se retira, et il continua de s’abstenir de prendre part aux travaux de la commission, sans que le souverain cherchât de nouveau à vaincre ses scrupules. Ce respect pour l’indépendance d’une opinion courageusement exprimée promettait aux accusés, sinon moins de sévérité, du moins plus d’égards de la part du tribunal qui devait décider de leur sort.

  1. Telle est la loi : lorsque, par la révision d’un procès criminel, on découvre que la peine du knout a été infligée injustement, le tribunal qui a porté la sentence est tenu de payer au condamné 200 roubles-argent (800 fr.) pour chaque coup.