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A’Court, homme de beaucoup d’esprit et de sagacité, bien que fort peu libéral, l’insurrection qui aboutit à la promulgation de la constitution espagnole, devenue le palladium de la démagogie, n’avait été nullement provoquée par les fautes et les excès du pouvoir.


«La proclamation des insurgés, disait-il, n’essaie pas même de jeter l’ombre d’un blâme sur le gouvernement existant. Une réduction à moitié de l’impôt du sel est le seul avantage qu’ils promettent au peuple. En fait, il serait difficile de trouver un sujet de blâme. Ce royaume n’avait jamais connu un gouvernement aussi paternel et aussi libéral. Plus de sévérité, moins de confiance, eussent amené un résultat différent… L’esprit de secte et la défection inouie d’une armée bien payée, bien vêtue, et qui ne manquait de rien, ont causé la ruine d’un gouvernement vraiment populaire… Un royaume qui avait atteint le plus haut degré de prospérité et de bonheur sous le plus doux des gouvernemens, et qui n’était nullement surchargé d’impôts, s’est écroulé devant une poignée d’insurgés qu’un demi-bataillon de bons soldats aurait écrasés en un moment !… Je crains que cela n’aboutisse à des scènes de meurtre et de confusion universelle. Il ne faut pas nous tromper, la constitution est le mot d’ordre dont on fait usage ; mais ce qui est arrivé n’est rien moins que le triomphe du jacobinisme : c’est la guerre des pauvres contre la propriété. On a appris aux basses classes à connaître leurs forces… »


Le tableau que traçait sir William A’Court était un peu chargé ; mais ce qu’on ne pouvait mettre en doute, c’est que la révolution de Naples n’était qu’un des chaînons d’un vaste complot formé par le carbonarisme pour accomplir ce qu’on appelait la délivrance de l’Italie, c’est-à-dire pour détruire l’influence du cabinet de Vienne dans cette péninsule et pour éloigner les forces autrichiennes du territoire lombardo-vénitien. Les démocrates et les libéraux étaient d’accord pour ce résultat ; beaucoup d’hommes monarchiques y tendaient même avec eux. Une conspiration venait d’être découverte à Milan, et l’on savait qu’à Turin ces aspirations hardies à l’unité italienne trouvaient d’autant plus de faveur, surtout dans la jeune noblesse et dans l’armée, que bien des gens se flattaient de l’espoir de voir l’unité ainsi rêvée se réaliser au profit du gouvernement sarde.

Une révolution qui se présentait avec de tels caractères n’était évidemment pas un fait local. Elle menaçait incontestablement la paix de l’Europe, puisqu’on ne pouvait exiger que l’Autriche restât inactive en présence des projets formés contre sa puissance. Aussi faisait-elle déjà des préparatifs militaires qui ne laissaient aucun doute sur ses intentions. Les gouvernemens alliés comprirent donc que cette fois il y avait lieu à une délibération commune. Sur la demande de la Russie, et bien que l’Autriche et l’Angleterre eussent préféré s’en abstenir, il fut décidé qu’un congrès se réunirait à Troppau en Silésie. Comme à Aix-la-Chapelle, les deux empereurs et le roi de Prusse