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mais le nom est le seul lien ; dans tout le reste, les enfans sont étrangers au père et à la mère, les frères étrangers aux frères, à moins qu’ils ne soient camarades d’école. Il y avait au temps de Rousseau des familles de ce genre ; il n’y en a plus guère de nos jours, grâce à Dieu, non que les pères se fassent les maîtres d’étude et les répétiteurs de leurs fils ; ils n’en ont pas le temps, et j’ajoute qu’ils n’en ont pas besoin pour être vraiment les précepteurs de leurs fils. Un père peut être le précepteur de son fils, même quand son fils est au collège, s’il le voit souvent, s’il l’assiste de ses conseils, de ses encouragemens, s’il entre dans ses chagrins d’enfance, s’il prend part à ses succès, si enfin, de même que la mère peut céder l’allaitement à la nourrice en se réservant tout le reste, le père cède l’instruction au collège en se réservant l’éducation. Je sais que l’instruction et l’éducation se tiennent de près ; cependant de nos jours surtout l’éducation vient en grande partie des conseils et encore plus des exemples de la famille. L’influence de la famille est toute-puissante, soit en bien, soit en mal, et un de nos plus habiles proviseurs me disait un jour qu’il savait, sans le vouloir, quel était l’intérieur des familles de tous les élèves de son collège, en voyant comme les élèves lui revenaient après un ou deux jours de sortie, ou meilleurs et plus dociles à cause du bon milieu dans lequel ils avaient vécu, ou plus frivoles et plus impatiens du joug à cause des exemples de frivolité et de plaisir qu’ils avaient reçus. L’influence du père est donc grande sur son fils, sans que ce père ait besoin de se faire le précepteur quotidien de son fils ; mais il ne doit pas oublier qu’il doit sans cesse l’assister, l’exhorter, le diriger et ne jamais l’abandonner à lui-même. Voilà de quelle manière il s’acquittera du devoir que lui impose Rousseau, voilà comment les liens de la famille se resserreront chaque jour davantage par les soins que la mère donne aux enfans en bas-âge et par l’éducation morale que le père donne à ses fils.

N’hésitons pas à le dire cependant : beaucoup de pères se font justice en n’élevant pas leurs enfans. L’enfant ne peut profiter de l’éducation qui vient de la famille que si la famille elle-même a une règle et si l’ordre moral y est respecté et pratiqué. Juvénal, témoin du désordre moral des familles romaines, disait aux pères de son temps de respecter leurs enfans et de leur épargner la vue du mal.

Nil dictu fœdum visuque hæc limina tangat,
Intra quæ puer est : procul hinc, procul inde puellæ
Lenonum et cantus pernoctantis parasiti !
Maxima debetur puero reverentia : si quid
Turpe paras, ne tu pueri contempseris annos,
Sed peccaturo obsistat tibi filius infans.

Quels admirables vers, et presque dignes d’être chrétiens, tant ils