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de ce corsage de rochers, on n’aperçoit plus que des déserts et des broussailles. Il est rare du reste de trouver une vallée aussi gracieuse, aussi régulière dans ses formes. Plus haut que Vuillafans, cette vallée est si étroite, que les deux villages de Lods et de Mouthiers n’ont réussi à s’y établir, tant bien que mal, qu’à la condition de se cramponner perpétuellement aux flancs mêmes de la colline. Près de Vuillafans au contraire, l’espace s’élargit brusquement de toute la profondeur du vallon de Vertvau, au bord duquel semblent s’avancer curieusement quelques maisons du village d’Echevannes, comme on s’avance au bord d’un puits pour en admirer le fond. En face du promontoire de Château-Neuf, qui a l’air de s’affaisser avec complaisance dans son manteau de vignes, en faisant la cloche, comme une jeune fille dans sa robe de bal, se carre, du côté de l’ombre, la jolie montagne de Devant-la-Faie, tout habillée de broussailles et taillée comme un de ces tas de pierres à forme tumulaire que les cantonniers entretiennent le long des grandes routes. Au revers de Devant-la-Faie s’ouvrent, derrière Château-Vieux, les gorges de Raffenau et de Vergetôle, d’où s’échappe le Biez-Blanc, ainsi nommé sans doute parce qu’à la moindre cessation de pluie les cailloux blancs de son lit sont complètement à sec. Comme les habitans de Vuillafans ne pratiquent pas d’autre culture que celle de la vigne, toute la plaine en amont et en aval du village est plantée de cerisiers superbes qui, tous les printemps, à l’instant de la floraison, donnent à cette localité le plus charmant aspect. De grandes lignes de peupliers le long de la rivière, d’énormes noyers le long des chemins à voiture, de nombreuses touffes d’oseraie le long des ruisseaux, complètent et accidentent ce gracieux ensemble.

Tel est le pays où je vins au monde, par un beau jour de juillet, dans une fosse de vigne. Mes parens n’étaient plus jeunes ni l’un ni l’autre quand arriva cet événement. Ils étaient occupés à ébourgeonner tous deux leur vigne des Chassagnes, vis-à-vis le Moulin-en-Haut, quand ma mère, qui ne s’y attendait pas encore, fut prise tout à coup du mal d’enfant. Si la pauvre femme se trouva alors bien peu à son aise, on doit comprendre que mon père passa aussi lui-même un assez vilain quart d’heure. Comme il n’y avait pas moyen pour lui d’abandonner la place, il se retourna en jetant un regard suppliant à gauche, dans les vignes de Château-Neuf, où fort heureusement il aperçut Fanfan Griselit, notre voisin, qu’il se mit à appeler de toutes ses forces, en criant au secours.

Fanfan Griselit arriva et repartit aussitôt en souriant pour aller chercher la sage-femme au village. À l’instant où celle-ci et le voisin tout essoufflés se trouvèrent au bas de la vigne, ils aperçurent, au milieu des bourgeons en feuilles lui montant jusque sous les bras,