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Saint Jérôme et la Vierge à l’écuelle suffisent pour ranger l’auteur parmi les maîtres les plus éminens de son art.

J’arrive à la Nuit, c’est-à-dire à la Nativité, que tous les voyageurs s’empressent d’aller voir dans la galerie de Dresde, et qui mérite en effet l’admiration dont elle est entourée. Il est juste pourtant, il est nécessaire de contrôler cette admiration, et d’affirmer que, légitime dans sa source, elle se produit sous une forme exagérée. Sans doute la Nuit est un admirable ouvrage, sans doute il y a dans cette composition une prodigieuse dépense de savoir et d’habileté; mais il ne faut pas se méprendre sur la valeur et la portée des moyens employés par l’auteur. Ce qui éblouit la foule n’est pas toujours ce qui contente les esprits éclairés. Or l’artifice employé par Antonio Allegri ne se rattache pas directement aux lois suprêmes de l’art. En quoi consiste en effet la magie de ce tableau, vanté par les touristes comme le dernier mot de la peinture ? Dans la lumière qui émane de la tête du Christ au lieu de l’éclairer. Lanzi, qui accepte sans la discuter la célébrité européenne de ce tableau, propose de l’appeler le commencement du jour. Le nom n’y fait rien : il s’agit de savoir si l’artifice employé par Antonio satisfait ou non aux plus hautes conditions de la peinture, si c’est là une manière sérieuse d’envisager le sujet, ou tout simplement une ruse destinée à séduire les ignorans. Or, pour peu qu’on prenne la peine de réfléchir, on ne tarde pas à se convaincre de la puérilité de cet artifice. On voit à la chartreuse de San-Martino, à deux lieues de Naples, un tableau de Guido Reni qui représente le même sujet, et qui reproduit le même artifice. Je ne veux établir aucune comparaison entre Guido Reni et Antonio Allegri; je me contente de remarquer qu’un maître secondaire a pu, à l’aide de cet artifice, obtenir une admiration que le goût ne ratifie pas.

Il y a dans la galerie de Dresde plusieurs tableaux qui ne jouissent pas de la même renommée que la Nuit, et qui cependant méritent une attention plus sérieuse. Je ne veux pas parler de la Madeleine pénitente, qui réunit au plus haut point l’élégance et la tristesse : cette admirable figure, si justement populaire, soulèverait plus d’une objection, car elle est plus voluptueuse que pénitente; elle appelle le désir plutôt qu’elle n’exprime le repentir. Comment trouver pourtant le courage de la blâmer ? Son adorable beauté désarme les esprits les plus sévères. Il y a dans ses paupières abaissées tant d’humilité, dans son corps tant de souplesse, dans ses membres tant d’élégance, dans le vêtement qui l’enveloppe tant de grâce et d’harmonie, qu’il est bien difficile de la condamner. Les deux compositions dont je veux parler sont la Vierge au saint Antoine et la Vierge au saint George. La première de ces deux compositions remonte à l’année 1512. Antonio Allegri n’avait donc que dix-huit