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songeait pas même à se défendre. Dès lors je n’avais plus besoin d’aveux, ni de paroles ; je me trouvais emporté brusquement au sein même de ces ravissemens sans nom dont, sitôt que je me retrouvais en présence de Lucie, il me devenait si manifeste que jamais je ne pourrais seulement approcher…..

Ah ! du haut de ces régions azurées où tu planes aujourd’hui heureuse et libre, ombre adorée, pardonne au nom des larmes toujours renaissantes qui ruissellent de mon cœur, pardonne, ô sainte victime ! si malgré tous les déchiremens auxquels, à partir de ce jour, je vis ton âme en proie, le courage me manque pour articuler ici la moindre parole de repentir ! Dis, maintenant que tu es affranchie de toutes les impostures, de toutes les défaillances, de toutes les oppressions de ce bas monde, dis si jamais pareille pureté de cœur, si jamais pareille complication d’infortunes, si jamais pareille évidence de prédestination ont pu mieux préparer, mieux justifier, mieux sanctifier d’avance un pareil amour ? Tu ne comprenais pas, ma pauvre amie, où, en sortant de tes bras, transfiguré par tes caresses, je pouvais trouver ce rayonnement si étrange, cet aplomb si sûr, cette audace à briser tous les obstacles, tandis que toi, faible et abattue, tu te repliais dans tes larmes ! Ah ! tu le vois bien maintenant, n’est-ce pas que j’avais raison quand, prosterné à tes pieds, je te protestais si ardemment que nous étions parfaitement dans tous nos droits, et qu’un amour comme le nôtre n’avait pas besoin d’une autre justification que le fait même de son existence ?

Oui, quand je parvenais à t’arracher un instant à ces remords si gratuits qui te martyrisaient pour t’emporter de nouveau dans ce tourbillon de splendeurs indicibles dont tu avais inondé mon âme, oui, tu en convenais alors, à travers les larmes, en passant ta main si douce dans ma chevelure, tu reconnaissais que je te disais vrai ; tu avouais que le jour aussi venait enfin de se faire en toi, que nos deux vies devaient manifestement avoir été destinées par le ciel à ne faire qu’une vie, et que par moi seul tu pouvais être si heureuse ! Il était impossible que j’eusse tort, disais-tu ; rien de moi ne pouvait être mal. Comment se faisait-il donc que ce qui te semblait si légitime de ma part se trouvât tout à coup un crime, comme tu disais, relativement à toi ?


Le printemps était revenu. Les feuilles poussaient aux arbres, et les oiseaux recommençaient à chanter dans les branches. Un jour, un gendarme vint tout à coup me demander à l’atelier ; je sentis d’abord un frisson me courir de la tête aux pieds.

— C’est vous qui vous appelez Stanislas Péchard, natif de Vuillafans, département du Doubs, en France ?

— Mais oui…