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caressante quand le prêtre fut sorti. Écoute, mon bon Tanisse, je lui ai tout dit ! Oh ! ne fronce pas le sourcil, va, car il a été bien bon pour moi, et il a su tout comprendre. Lui parler de moi, c’était forcément lui parler aussi de toi ; mais sois sans crainte, va ! Si j’ai gagné à cela la certitude de mon pardon, je suis bien sûre que tu y as gagné aussi la conquête de son estime. Écoute, Tanisse ; s’il m’a pardonné, ç’a été à une condition, et je suis sûre que tu ne trouveras pas mauvais que j’y souscrive. Vois-tu, je me sens si heureuse de ce que je viens de faire, si heureuse surtout de pouvoir m’endormir tout à l’heure sous ton bon regard, que je me sentirais de force à embrasser même celui qui m’a fait le plus de mal ; aussi pense combien il me tarde de pouvoir au moins embrasser ma mère ! Oui, Tanisse, que ce mot ne te surprenne pas : comment pourrais-je réclamer là-haut l’indulgence du bon Dieu, si, avant de paraître devant lui, j’en avais manqué moi-même ?

Ah ! si jamais j’ai eu le sentiment net et vif de la grandeur à laquelle peuvent s’élever à certaines heures les natures les plus simples, ce fut bien en écoutant, agenouillé devant Lucie, ces paroles si inattendues. Quel charme surhumain les approches de la mort prêtaient-elles donc à cette douce enfant, pour qu’elle arrivât si subitement à me faire contempler d’un œil presque serein cette séparation terrible dont, une heure auparavant, je repoussais encore l’idée avec effroi ? De pareilles âmes ne sont-elles pas, à de pareils momens, au moins aussi adorables que l’autel devant lequel elles se prosternent ?

J’eus longtemps à chercher avant de découvrir le domicile de Mme Groscler. Quand j’entrai dans sa mansarde, éclairée par une fenêtre s’ouvrant en tabatière, nous poussâmes presque simultanément un cri étouffé de stupeur. Je n’aurais pas eu le cœur encore tout inondé des paroles émouvantes de Lucie, que l’aspect de tant de misère m’eût certainement désarmé.

— Madame, je viens, de la part de Lucie, qui se meurt, vous prier de vouloir bien venir recevoir son dernier soupir.

— Quoi !… que… Lucie… à Paris… qui se meurt !

— Madame, remettez-vous ; c’est une prière que je vous apporte de sa part, une prière instante, et pas autre chose… Le seul fait de ma démarche doit vous prouver, madame, avec quelle profonde reconnaissance elle accueillera cette dernière bonté de votre part.

Un instant après, les deux pauvres femmes tombaient sans mot dire dans les bras l’une de l’autre. Il était temps, car bientôt, à la suite d’émotions si vives, une crise se déclara. Lucie prit nos mains dans les siennes, les serra avec tout ce qui lui restait de forces en murmurant un dernier adieu ; puis sa tête s’inclina, et tout fut dit.

En rentrant du cimetière où j’avais accompagné seul avec Pidoux