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enseignée à son élève. Les biographes nous assurent qu’il possédait au suprême degré la connaissance des belles manières, qu’il aimait les splendides vêtemens, et que Rubens prit chez lui la passion du velours et du satin : exemple périlleux, dangereux modèle, qui expliquerait, à les en croire, le luxe des compositions de Rubens. C’est là sans doute un renseignement très digne d’attention. Il en est un pourtant que nous aurions souhaité rencontrer et qui nous manque. Otto Venins, adonné au vice de l’allégorie, au vice des lettres, au vice des belles manières et des beaux vêtemens, avait encore à se reprocher un vice non moins dangereux, et qui d’ordinaire n’est pas moins contagieux que les précédens : il aimait, il imitait Corrége. Comment Rubens s’est-il préservé de ce dernier danger ? C’est une question que les biographes n’ont pas résolue, et qui pourtant méritait d’exercer leur sagacité. Le souvenir de Corrége n’a pas laissé de trace dans les œuvres de Rubens; il est donc probable qu’Otto Venius imitait maladroitement ce maître illustre et justement admiré. Adroite ou maladroite, l’imitation ne pouvait d’ailleurs séduire l’esprit de son élève, qui aspirait à vivre d’une vie indépendante. Rubens se sentait appelé vers l’Italie; il voulait puiser librement à cette source féconde et généreuse, interroger à sa guise toutes les écoles qui assurent à ce beau pays le premier rang dans l’histoire de la peinture. Présenté par Otto Venius à l’archiduc Albert et à l’infante Isabelle comme son élève favori, accueilli avec bienveillance pour son mérite présumé, surtout pour la grâce de ses manières, il partit pour la patrie de Raphaël, de Léonard, de Michel-Ange; l’archiduc et l’infante lui avaient donné des lettres de recommandation pour les principaux souverains de l’Italie. Bellori assure qu’il possédait lui-même la plus puissante des recommandations : l’élégance de sa démarche, la noblesse et l’affabilité de ses manières, l’abondance et la variété de sa conversation, lui conciliaient tous les suffrages. C’est là, si je ne me trompe, une réunion de circonstances atténuantes en faveur d’Otto Venius.

Au lieu de courir à Parme, comme on aurait pu le penser d’après les leçons de son dernier maître, pour étudier à loisir la coupole décorée par Corrége, Rubens se rendit d’abord à Venise, dont les maîtres lui avaient inspiré une vive prédilection. Titien et Paul Véronèse l’attiraient par la splendeur et l’harmonie de leurs compositions. Il les étudiait avec ardeur et s’efforçait de leur dérober leur secret. Un gentilhomme de Mantoue, qui demeurait dans la même hôtellerie, lui demanda la faveur de le voir travailler; admis dans son atelier, il fut séduit tout à la fois par son affabilité et par la rapidité de son travail. De retour à Mantoue, ce gentilhomme recommanda Rubens à son souverain en termes si vifs, que le duc